Les batteries lithium-ion sont sur le point de connaitre une véritable révolution scientifique. L’Institut américain de physique (AIP) vient d’annoncer la découverte d’un nouveau procédé permettant d’améliorer la densité énergétique des batteries. L’annonce a provoqué un vent d’optimisme au sein de la communauté scientifique et des industriels du secteur. Après tout, l’amélioration des batteries apparaît comme primordiale afin d’atteindre les objectifs fixés lors de l’accord de Paris.
Les batteries lithium-ion jouissent en effet d’un quasi-monopole sur le marché des véhicules électriques et du stockage stationnaire de l’électricité. Toute découverte scientifique facilite ainsi l’électrification des sociétés et la transition vers les énergies renouvelables. Pourtant, la découverte de l’AIP risque de rencontrer des obstacles importants quant à sa commercialisation à grande échelle. En cela, elle n’est sans doute pas aussi révolutionnaire que les chercheurs de l’AIP ne l’ont laissé penser.
L’importance des batteries lithium-ion dans la transition énergétique
Depuis quelques mois, de nombreux pays ont annoncé des objectifs ambitieux en matière de transition énergétique. Cet été, la Chine avait ainsi divulgué son objectif de neutralité carbone d’ici à 2060. De même, la Corée du Sud et le Japon ont annoncé viser un objectif similaire à partir de 2050. Même aux États-Unis, le nouveau président élu Joe Biden a promis d’accélérer la décarbonation de l’économie américaine.
Afin d’atteindre ces objectifs, les États devront impérativement électrifier leur mix énergétique en misant davantage sur les véhicules électriques. Aujourd’hui, selon l’Agence internationale de l’énergie, ces véhicules ne représentent que 1 % du parc automobile mondial. Pour respecter l’accord de Paris, cette part devrait être multipliée par plus de 15 d’ici à 2030. Il en va de même pour le stockage stationnaire d’électricité sans lequel il sera difficile d’intégrer les énergies renouvelables intermittentes.
Dans ce contexte, les batteries lithium-ion devraient jouer un rôle considérable dans les années à venir. Déjà, ces batteries bénéficient d’une baisse importante de leur coût due aux économies d’échelle dans l’industrie. D’après l’agence Bloomberg, les coûts ont ainsi diminué de 86 % en 10 ans atteignant 156 dollars par kWh. L’agence estime qu’en 2024, les batteries atteindront la parité avec les moteurs à essence stimulant de facto les véhicules électriques.
Le problème de performance
Si le coût des batteries décline depuis 10 ans, les performances restent encore à désirer sur de nombreux points. L’une des difficultés concerne la faible densité énergétique de ce type de batterie limitant ainsi la quantité de stockage. Cette faible densité est particulièrement problématique pour le stockage stationnaire qui demande de gérer une forte capacité d’électricité. La découverte récente faite par l’AIP pourrait cependant répondre à cette difficulté en augmentant la densité énergétique des batteries.
La principale avancée faite par l’AIP a été d’utiliser des enduits en carbone appelés Super P permettant de conduire l’électricité. Ces enduits ont été ensuite ajoutés aux matériaux d’électrode NCM contenant du nickel, de la manganèse et du cobalt. Résultat, les chercheurs ont trouvé un point contact entre le Super P et les particules de NCM. Cela permet notamment d’améliorer la connectivité entre les deux éléments et ainsi de faciliter le transport du lithium-ion.
La batterie verra ainsi sa densité énergétique fortement augmenter ce qui engendrera des gains importants en matière de quantité stockée. Les véhicules électriques pourront dès lors profiter d’une autonomie supérieure limitant les besoins en recharge. Rappelons qu’aujourd’hui, ces véhicules ont une autonomie en moyenne de 200 km contre 480 km pour les véhicules à essence. Par conséquent, la découverte de l’AIP pourrait améliorer fortement la compétitivité des véhicules électriques sur le marché automobile.
Des problèmes structurels entravent encore le plein essor
La découverte scientifique de l’AIP, bien qu’importante, ne devrait pourtant pas bouleverser le marché des batteries. En effet, des obstacles importants restent encore à dépasser avant de voir les batteries lithium-ion dépasser les moteurs à essence. En cela, les recherches de l’AIP ne font qu’améliorer la densité énergétique mais ne règlent pas d’autres problèmes structurels.
Par exemple, l’usage du Super P au sein des batteries NCM n’entraîne aucune conséquence sur l’approvisionnement en matières premières. Or, cet approvisionnement représente un enjeu majeur pour une filière très dépendante des ressources comme le cobalt ou le nickel. La dépendance au cobalt est particulièrement problématique car 50 % des réserves se trouvent en République démocratique du Congo (RDC). Pour le nickel, le récent embargo indonésien a montré la fragilité des industriels devant le risque géopolitique.
De même, la filière dépend à plus de 80 % de la Chine sur la question du raffinage des métaux. Cette dépendance atteint même les 60 % dans la fabrication des composants. Cette domination chinoise sur l’ensemble de la chaîne de valeur constitue un risque pour le développement des batteries lithium-ion. Rappelons que Pékin a déjà utilisé l’arme de l’embargo sur les métaux en 2010 après des tensions avec le Japon.
C’est pourquoi la question du recyclage est apparue comme primordiale ces dernières années. Or, ce secteur est encore embryonnaire à l’heure actuelle et ne concerne que peu d’entreprises. Aujourd’hui, il est même plus rentable d’acheter des nouveaux matériaux plutôt que d’utiliser des matériaux recyclés. Améliorer le recyclage sera pourtant central pour réduire le risque géopolitique posé par la Chine et la concentration des ressources.
Les découvertes scientifiques de l’AIP ne règlent donc pas certains problèmes structurels des batteries lithium-ion. Certes, en améliorant la densité énergétique, l’usage du Super P peut faciliter le déploiement des batteries dans le mix énergétique. Cependant, ce déploiement ne pourra se réaliser véritablement qu’avec une meilleure maîtrise des chaînes de valeur, aujourd’hui dominées par Pékin.