Le vacarme assourdissant de l’énorme turbine tournant à pleine puissance sonne comme un soulagement : avec douze ans de retard, le réacteur nucléaire EPR d’Olkiluoto en Finlande arrive à pleine puissance juste avant un hiver très tendu en matière d’énergie en Europe.
La vapeur du réacteur voisin, portée à près de 300 degrés, fait tourner la turbine de plus de 60 mètres de long jusqu’à 25 fois par seconde, réchauffant l’atmosphère à l’intérieur du bâtiment à une température digne d’un sauna finlandais pour le visiteur vêtu de l’équipement de protection.
Après de longs mois d’essais, la mise en service normale est prévue en décembre, mais la cathédrale de béton et d’acier construite par le groupe français Areva sur la côte sud-ouest du pays a atteint sa pleine capacité fin septembre.
“Cela a demandé beaucoup de persévérance et des années de travail difficile pour en arriver là, donc on se sent plutôt bien en ce moment”, confesse Johanna Aho, une porte-parole de l’opérateur nucléaire finlandais TVO.
Avec 1.600 mégawatts, c’est désormais le réacteur le plus puissant d’Europe en opération, et le troisième au monde. Quand “OL3” a atteint sa pleine capacité le 30 septembre pour la première fois depuis l’annonce de sa construction en 2003, il produisait à lui seul environ 20% de l’électricité consommée en Finlande – 40% en y ajoutant les deux réacteurs existants OL1 et OL2.
“C’est beaucoup d’électricité et c’est le niveau de production stable et prédictible que fournit l’énergie nucléaire”, vante Mme Aho.
Le timing s’avère crucial alors que la Finlande doit faire face à l’arrêt des livraisons d’électricité depuis la Russie, soit une capacité d’importation d’environ 1.000 MW.
Un éventuel nouveau problème serait une mauvaise nouvelle pour le pays nordique, qui a déjà dû actionner des centrales de réserve au fioul le mois dernier.
La Suède reste une source d’approvisionnement possible, mais le voisin est lui-même confronté à des risques de pénurie cet hiver.
Début octobre, il restait à accomplir une dizaine de tests à pleine puissance sur Olkiluoto 3, pendant lesquels le réacteur cessera périodiquement de produire durant plusieurs jours, voire semaines.
Les énormes surcoûts du chantier entamé en 2005 ont été une des principales causes du démantèlement industriel d’Areva, plombé par des pertes de plusieurs milliards d’euros.
Une structure subsiste, dont la tâche essentielle est de boucler le chantier d’Olkiluoto.
– Litiges –
Malgré ce fiasco, le soutien au nucléaire civil a progressé ces dernières années en Finlande, stimulé par les préoccupations climatiques et les tensions énergétiques mondiales. Selon un sondage paru en mai, 60% des Finlandais y sont désormais favorables, un record.
Depuis l’annulation en mai du projet nucléaire d’Hanhikivi 1 du finlandais Fennovoima et du russe Rosatom, aucun nouveau projet de réacteur nucléaire n’a toutefois été lancé en dehors d’OL3.
Dès 2006, des retards dans la construction de la principale conduite de refroidissement avaient déjà reporté la mise en route du réacteur à 2010-2011.
L’agence finlandaise de sécurité nucléaire STUK avait ensuite demandé en 2009 plusieurs centaines améliorations du fait de “problèmes liés à la construction”, ouvrant un conflit entre l’exploitant du futur réacteur, le finlandais TVO, et Areva-Siemens, avec également des critiques sur le gendarme finlandais.
Après plusieurs années de litiges et de retards supplémentaires, Areva avait finalement réglé son différend avec TVO en novembre 2018, en payant une compensation de 450 millions d’euros.
Lancé en 1992 comme le nec plus ultra de la technologie nucléaire française, le réacteur pressurisé européen (EPR) a été conçu pour relancer l’énergie nucléaire en Europe, au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl de 1986.
Le nouveau modèle était présenté comme offrant à la fois une puissance plus élevée et une meilleure sécurité, mais sa construction s’avère un casse-tête, et pas uniquement en Finlande.
En France, la construction de l’EPR de Flamanville, entamée en 2007, a elle aussi été affectée par des retards massifs, dus notamment à des anomalies dans le couvercle en acier et la cuve du réacteur.
L’EPR a aussi été retenu pour une centrale à deux réacteurs à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, où le chantier a souffert de la pandémie de coronavirus.
La production d’électricité est actuellement planifiée pour mi-2027, au lieu de 2025 au départ.
En Chine, deux EPR ont été lancés à la centrale de Taishan dans le sud-est du pays en 2019. Un des réacteurs, arrêté pendant un an pour un problème d’étanchéité, a repris sa production en août.