South Stream Transport B.V., filiale de Gazprom en charge de l’exploitation de la portion maritime de TurkStream, a officiellement déplacé son siège social des Pays-Bas vers la Hongrie. La décision intervient après que le tribunal d’Amsterdam a ordonné le gel de ses actifs, dans le cadre d’un recours intenté par l’entreprise ukrainienne DTEK Krymenergo pour des pertes découlant de l’annexion de la Crimée.
Un transfert pour éviter la juridiction néerlandaise
En se délocalisant à Budapest, South Stream Transport B.V. cherche à se soustraire à la juridiction néerlandaise, qui a déjà été utilisée pour engager des saisies contre des entités russes. En 2019, Naftogaz avait obtenu le gel de l’intégralité des actions de la société. Le climat réglementaire aux Pays-Bas est devenu plus contraignant depuis la révocation par les autorités de La Haye de la licence d’exportation de l’entreprise en 2022.
Le gouvernement hongrois, favorable à une coopération énergétique étroite avec Moscou, a renforcé son soutien au projet. Viktor Orban, Premier ministre, et Peter Szijjarto, ministre des Affaires étrangères, ont souligné à plusieurs reprises l’importance stratégique de TurkStream pour la sécurité énergétique nationale et régionale.
TurkStream, corridor central du gaz russe
TurkStream transporte jusqu’à 31,5 Gm³/an de gaz depuis la Russie vers la Turquie, puis vers l’Europe du Sud-Est. La Hongrie importe actuellement environ 7,5 Gm³/an via ce gazoduc, contre 4,5 Gm³ prévus initialement lors de la signature du contrat de long terme en 2021. Le gaz transite ensuite vers la Serbie, la Bulgarie, la Slovaquie et, potentiellement, l’Autriche.
Les sanctions européennes limitent les transferts technologiques vers la Russie, sans bloquer les livraisons vers l’Union européenne. Toutefois, la relocalisation en Hongrie pourrait compliquer l’application de futures sanctions ciblant les infrastructures plutôt que les flux ou technologies.
Impact du cadre réglementaire américain
Les États-Unis ont accordé une exemption d’un an à la Hongrie, autorisant les transactions financières liées à TurkStream en dépit des régimes de sanctions CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act) et PEESA (Protecting Europe’s Energy Security Act). Ce cadre juridique réduit les risques de blocage bancaire pour les acteurs opérant depuis Budapest.
Ce déplacement ne modifie pas la structure capitalistique, Gazprom conservant le contrôle intégral de South Stream Transport B.V. Néanmoins, il ouvre la voie à un renforcement de l’implication des autorités hongroises dans la gouvernance opérationnelle du gazoduc.
Conséquences pour le marché régional
À court terme, la relocalisation ne devrait pas influencer les prix spot du gaz en Europe centrale, les volumes ayant déjà été intégrés dans les équilibres d’approvisionnement. En revanche, elle offre une protection accrue contre les interruptions juridiques ou réglementaires susceptibles de survenir dans d’autres juridictions européennes.
Les opérateurs en Serbie, Bulgarie et Slovaquie bénéficient d’une sécurisation des flux contractuels, tandis que les créanciers ukrainiens pourraient être contraints de chercher d’autres voies judiciaires hors des Pays-Bas. La structure hongroise complique les tentatives d’exécution directe sur les revenus futurs issus du gazoduc.
Un signal pour d’autres infrastructures russes en Europe
Ce précédent pourrait inciter d’autres entités russes basées aux Pays-Bas ou au Luxembourg à envisager un redéploiement juridique vers des pays membres de l’UE plus favorables, voire vers des juridictions non européennes comme la Serbie ou la Turquie. Cela participerait à une redéfinition du paysage énergétique européen dans un contexte de tensions persistantes entre Bruxelles et Moscou.
La relocalisation de South Stream Transport B.V. souligne également le rôle croissant de la Hongrie comme point de passage incontournable pour les exportations gazières russes. Cela confère à Budapest un levier supplémentaire dans ses négociations avec l’Union européenne, notamment sur les questions de financement et de politique énergétique.