Huit États membres de l’Union européenne se sont regroupés pour lancer une initiative politique et financière commune visant à soutenir le développement industriel du carburant d’aviation synthétique, ou e-kérosène. Dotée d’une enveloppe initiale de 500 M€, la “eSAF Early Movers’ Coalition” prévoit une première série d’enchères à double face dès 2026 pour stimuler les décisions d’investissement dans un secteur encore bloqué par des coûts élevés et une incertitude sur la demande à long terme.
Un modèle inspiré d’H2Global pour sécuriser les revenus
Le dispositif reprend le principe du mécanisme allemand H2Global : un acheteur public contracte à long terme avec les producteurs à un prix défini, puis revend les volumes aux utilisateurs finaux à un prix de marché inférieur. L’écart est comblé par des fonds publics issus du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (ETS), du Fonds d’innovation et de la Banque européenne de l’hydrogène. Cette approche vise à lisser le risque de marché et à rendre bancables les projets de production d’e-kérosène en Europe.
Les pays membres de la coalition – Allemagne, France, Pays-Bas, Espagne, Autriche, Finlande, Luxembourg et Portugal – concentrent aujourd’hui la majorité des hubs industriels liés à l’hydrogène et aux carburants de synthèse. Ils bénéficient également d’une exposition accrue au trafic aérien intra-européen et long-courrier via leurs principaux aéroports internationaux.
Objectif : atteindre le sous-quota e-fuels imposé par ReFuelEU
Le règlement ReFuelEU Aviation impose un quota de carburants durables dans les ravitaillements aéronautiques : 2 % en 2025, 6 % en 2030, et jusqu’à 70 % en 2050. Une sous-catégorie spécifique fixe à 1,2 % la part minimale d’e-fuels d’ici 2030. Ce sous-quota représente un objectif critique pour les institutions européennes, qui veulent éviter un retard industriel majeur dans cette filière encore émergente.
La nouvelle coalition est conçue pour accélérer les projets e-SAF dits RNFBO (Renewable Fuels of Non-Biological Origin), dont les coûts de production sont actuellement estimés entre trois et six fois ceux du kérosène conventionnel. Aucun projet n’a atteint à ce jour une décision finale d’investissement, malgré plus de 40 projets en cours de développement dans l’Union.
Une fenêtre stratégique pour les industriels et compagnies aériennes
Les développeurs de technologies Power-to-Liquid (PtL), les fournisseurs d’électrolyseurs, les producteurs de CO₂ capté et les opérateurs de hubs portuaires sont considérés comme les principaux bénéficiaires de ce dispositif. Les majors énergétiques investies dans les carburants durables, telles que TotalEnergies, Shell, bp ou Neste, devraient également se positionner sur les projets portés par les pays signataires.
Du côté des compagnies aériennes, les groupes européens tels que Lufthansa, Air France-KLM, International Airlines Group (IAG) ou Finnair, soumis à une obligation d’incorporation de SAF dans leurs approvisionnements, verront dans ce mécanisme une opportunité de réduire leur exposition au risque prix. La coalition prévoit en effet un système de ravitaillement à 90 % dans les aéroports européens pour limiter le contournement réglementaire.
Risques de fragmentation et équilibres géopolitiques internes
Plusieurs États membres non signataires, notamment en Europe centrale et orientale, pourraient percevoir cette coalition comme un mécanisme d’exclusion, concentrant les aides financières ETS sur les États les plus riches et les mieux industrialisés. Des tensions pourraient émerger lors des futures discussions sur la répartition budgétaire ou les ajustements réglementaires de ReFuelEU.
Par ailleurs, le modèle retenu pourrait ouvrir la voie à des importations d’e-SAF depuis des pays tiers, si le design des enchères ne privilégie pas explicitement la production intra-européenne. Une telle ouverture créerait un arbitrage délicat entre objectifs climatiques et stratégie industrielle.