La National Oil Corporation (NOC) s’apprête à attribuer une vingtaine de blocs pétroliers onshore et offshore dans le cadre d’une première séquence d’exploration depuis 2008. Trente-sept sociétés ont été préqualifiées, incluant plusieurs majors internationales. Cette opération intervient alors que la production libyenne atteint 1,4 million de barils par jour (Mb/j), avec un objectif de 1,6 Mb/j d’ici 2026. La baisse des exportations de gaz vers l’Italie a par ailleurs laissé sous-utilisé le gazoduc Greenstream.
Deux gouvernements, une seule compagnie légitime
Le territoire reste scindé entre le Gouvernement d’union nationale (GNU) reconnu à Tripoli et une autorité rivale à Benghazi, soutenue par le maréchal Khalifa Haftar. Ce dernier contrôle l’accès à des installations clés de l’est du pays, notamment dans le croissant pétrolier. Malgré cela, la NOC conserve la reconnaissance internationale exclusive pour l’exportation du brut libyen.
En mai 2025, l’exécutif de l’est a menacé d’imposer la force majeure sur plusieurs ports, illustrant la vulnérabilité des flux face aux tensions internes. Le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé cette année encore le régime de sanctions visant certains acteurs, maintenant la Libye sous surveillance politique étroite.
Un cadre contractuel exposé aux exigences de conformité
Le secteur pétrolier libyen impose des coentreprises locales, encadrées par la NOC, avec une forte prévalence des contrats de partage de production. Ces contrats devront désormais inclure des garanties renforcées de transparence, à la suite de scandales de contrebande de carburants et d’échanges brut-produits raffinés ayant causé jusqu’à 6,7 milliards $ de pertes estimées en 2024.
Les sociétés occidentales doivent intégrer les exigences des régimes de sanctions européens, onusiens et américains. L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) a déjà sanctionné des réseaux entiers opérant dans le secteur pétrolier libyen, rendant les contrôles de conformité un préalable à toute opération.
Des capacités sous-exploitées face à une offre mondiale saturée
La Libye dispose de réserves prouvées de 48 milliards de barils. Son infrastructure, en grande partie existante, permettrait de porter la production à 2 Mb/j avec un investissement estimé entre 3 et 4 milliards $. Cependant, sur le marché mondial, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une offre croissante, ce qui pourrait limiter l’impact commercial de volumes supplémentaires.
Côté gaz, les flux vers l’Italie via Greenstream ont atteint leur plus bas niveau depuis treize ans. Eni, opérateur clé dans le pays, détient environ 80 % de la production gazière et pourrait convertir rapidement toute nouvelle découverte en volumes commercialisables. Les blocs offshore peu profonds connectés à Mellitah présentent une valeur stratégique.
Un écosystème concurrentiel mais instable
Parmi les 37 sociétés préqualifiées figurent BP, TotalEnergies, Chevron, Shell, ExxonMobil, ainsi que des compagnies nationales comme Sonatrach, QatarEnergy et CNODC. La diversité des candidats pourrait permettre de diversifier les risques politiques. Toutefois, des acteurs parallèles comme Arkenu, lié à Saddam Haftar, ont déjà exporté du brut en dehors du circuit de la NOC.
Les zones ciblées pour cette ronde, notamment dans le bassin de Syrte et au large de la côte nord, sont proches de terminaux vulnérables aux blocades. Cette proximité logistique réduit les coûts mais accroît les risques d’interruption des flux.
Risques de gouvernance et d’image pour les entreprises
Les entreprises devront intégrer dans leurs contrats des protections face aux interruptions de production. Les blocades des dernières années ont à plusieurs reprises réduit la production nationale à zéro. Par ailleurs, les institutions libyennes ont lancé des audits internes, mais leur mise en œuvre reste incertaine.
Les scandales autour du fuel-smuggling impliquent des responsables politiques et sécuritaires des deux camps. Les opérateurs devront prouver que leurs volumes ne transitent pas par des circuits contaminés, sous peine de sanctions ou de répercussions réputationnelles.
Conséquences commerciales et géopolitiques à moyen terme
La production additionnelle potentielle de 0,3 à 0,5 Mb/j d’ici 2030 renforcerait la position de la Libye comme fournisseur marginal en Méditerranée. Une remontée des exportations gazières vers l’Italie réduirait la dépendance au gaz naturel liquéfié spot, sans modifier significativement l’équilibre global européen.
Les majors présentes cherchent à sécuriser des projets à coût maîtrisé et forte rentabilité. Elles devront néanmoins gérer l’exposition à un environnement réglementaire incertain et à un contrôle contractuel partiellement politisé.