Le marché gazier polonais demeure dominé par Orlen, héritier de PGNiG, avec environ 85 % des ventes au détail et en gros en 2024. L’Urząd Regulacji Energetyki (URE, régulateur polonais) chiffre les ventes aux utilisateurs finaux à près de 194 TWh en 2024, en hausse par rapport à 2023. Orlen a importé plus de 150 TWh, soit plus de 88 % des entrées physiques, et produit environ 96 % du gaz domestique, consolidant sa position d’acheteur-unique de facto. Les obligations de cession sur bourse n’ont pas suffi à créer une liquidité durable : l’activité sur Towarowa Giełda Energii (TGE, bourse de l’énergie) a reculé depuis un pic en 2021.
Cadre légal et effets de structure
La loi sur les stocks impose des réserves obligatoires coûteuses et difficiles à externaliser, avec la Governmental Agency for Strategic Reserves (RARS, agence des réserves stratégiques) limitée à des mandats prolongés sans réforme structurelle. L’article 24a, plusieurs fois débattu, maintient des exigences fermes pour les volumes stockés à l’étranger, créant des asymétries réglementaires. La Cour de justice de l’Union européenne (ECJ, Cour de justice) est saisie sur la compatibilité de ces règles avec le marché intérieur. Les réductions progressives de la remise d’entrée au terminal GNL de Świnoujście (gaz naturel liquéfié, LNG — gaz naturel liquéfié) sont prévues, mais Orlen détient déjà 100 % des capacités à long terme à Świnoujście et a réservé la totalité des 6,1 Gm³/an du futur terminal flottant de Gdańsk (FSRU, unité flottante de stockage et de regazéification). Ces éléments combinés limitent l’accès pour de nouveaux entrants.
Le système d’entrée-sortie reste fragmenté par le gazoduc Yamal-Europe (SGT), dont les coûts d’entrée annuels élevés rendent peu compétitives les importations via Mallnow par rapport au réseau national (KSP). Le gestionnaire de réseau de transport Gaz-System (TSO, opérateur de transport) propose une méthodologie tarifaire « postage stamp » et l’unification des systèmes à partir de 2027, ce qui abaisserait le coût relatif de Mallnow. Les hypothèses de réservation publiées demeurent toutefois modestes, suggérant un impact concurrentiel limité à court terme. Parallèlement, l’augmentation temporaire des capacités fermes vers l’Ukraine et les travaux de comptage à Hermanowice accroissent l’aptitude d’export, sans modifier la concentration amont.
Demande interne : chaleur et électricité en tête
La Polityka Energetyczna Polski 2040 (PEP2040, politique énergétique) et le National Energy and Climate Plan (NECP, plan national énergie-climat) projettent une hausse du gaz comme vecteur de substitution au charbon dans la chaleur et la production électrique. Les installations à cycle combiné gaz (CCGT, centrales à cycle combiné) et les cogénérations (CHP, production combinée de chaleur et d’électricité) se multiplient, avec de nouveaux blocs mis en service et d’autres planifiés. Les prix du Système d’échange de quotas (ETS, système européen d’échange) et l’ETS2 pour les bâtiments renforcent l’économie du basculement. Orlen anticipe une demande nationale culminant autour de 27 Gm³ à l’horizon 2030, tout en visant 12 Gm³/an de production propre et environ 15 Gm³/an de contrats à long terme, soit un portefeuille équivalent à la consommation totale projetée.
La capacité d’import polonaise atteint environ 1,29 TWh/j en ferme, soit plus du double des besoins moyens, avec des interconnexions vers tous les voisins et la Norvège via Baltic Pipe (capacité technique ~10 Gm³/an). Le terminal de Świnoujście a été porté à ~8,3 Gm³/an, et Gdańsk (6,1 Gm³/an) est attendu en 2028, avec option d’un second FSRU. Cette marge physique soutient la montée de la demande de chaleur et d’électricité, tandis que les réserves obligatoires occupent encore une part significative d’un stockage total d’environ 36 TWh, en expansion à Wierzchowice. La combinaison d’infrastructures et de contrats sécurise les approvisionnements, mais concentre le pouvoir d’achat dans un seul groupe intégré.
Ambition régionale : « distributeur » plutôt que place de marché
Les documents publics visent un rôle régional accru, notamment vers l’Ukraine où les flux se sont renforcés, et potentiellement vers la Slovaquie et les pays voisins si les importations russes cessent dans l’Union. Les enchères annuelles montrent des réservations d’export fermes vers l’Ukraine, appuyées par des accords commerciaux. Néanmoins, une « place de marché » suppose une liquidité boursière soutenue, des prix dérégulés et de nombreux acteurs actifs, conditions qui restent éloignées : le nombre de sociétés « actives » sur TGE a baissé par rapport au pic de la fin des années 2010. Les licences internationales (OGZ) ont été rationalisées, avec des annulations en cas d’inactivité, et les processus d’autorisation demeurent lourds.
La trajectoire la plus probable est celle d’un « hub dirigé par un champion » : volumes importants entrant et sortant par des capacités majoritairement réservées par l’incumbent, et arbitrages via un portefeuille LNG flexible. L’intégration tarifaire de Yamal-Europe et la réduction des remises d’entrée LNG peuvent ouvrir des fenêtres d’arbitrage à la marge, sans inverser la structure dominante. Pour les industriels intensifs, l’enjeu reste l’accès à des références de prix transparentes et à des offres concurrentes, que le relèvement envisagé du quota de cession en bourse à 85 % pourrait favoriser s’il est adopté sans dilution.