L’Inde pourrait capitaliser sur ses volumes excédentaires d’éthanol pour approvisionner le marché des carburants d’aviation durables (SAF), mais des incertitudes réglementaires liées à l’utilisation de sous-produits comme les mélasses lourdes et les sirops freinent les ambitions nationales. Selon Atul Mulay, président bioénergie de Praj Industries, les mélanges à hauteur de 10 à 12 % sont techniquement réalisables si le gouvernement lève les contraintes actuelles.
Les données industrielles révèlent qu’en 2025, environ 61 % de l’éthanol indien provient de mélasse B-lourde, 20 % de sirop de sucre et seulement 2 % de mélasse C-lourde. Ces chiffres traduisent une forte dépendance à des matières premières soumises à des restrictions ponctuelles en cas de tensions sur le marché du sucre, compliquant la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement conforme aux standards internationaux, notamment la certification ISCC CORSIA, nécessaire pour l’exportation de SAF.
Le modèle brésilien en ligne de mire
Le contraste avec le Brésil est marqué. Le pays sud-américain a sécurisé plusieurs certifications majeures pour son éthanol de canne à sucre, dont la certification ISCC CORSIA Plus obtenue par Raízen en 2023. São Martinho a suivi en 2024 avec une certification liée au faible risque de changement d’usage des sols. Le programme brésilien ProBioQAV prévoit un taux d’incorporation de SAF de 1 % à partir de 2027, pour atteindre 10 % d’ici 2037, donnant ainsi une visibilité aux industriels.
À l’inverse, l’Inde ne dispose actuellement d’aucune unité commerciale pour la conversion d’éthanol en carburant aviation (AtJ – alcohol-to-jet), malgré des projets pilotes en cours. Selon les estimations du secteur, il faudrait environ trois ans et demi pour mettre en service une installation à l’échelle commerciale, ce qui rend peu probable toute production avant 2030, même en cas de clarification politique rapide.
Volatilité du marché UCO et compétitivité de l’éthanol
La hausse des prix de l’huile de cuisson usagée (UCO – used cooking oil), utilisée pour produire des SAF via la voie HEFA (Hydroprocessed Esters and Fatty Acids), pose également un défi. Les prix ont atteint 210 INR/litre, contre 65 à 70 INR/litre au lancement des projets, selon les données disponibles. En comparaison, l’éthanol reste une matière première plus stable en termes de disponibilité et de prix.
Les cotations de Platts indiquent que les prix du UCO FOB North Asia ont atteint $1,135/tonne, tandis que ceux du FOB Straits sont à $1,125/tonne, au plus haut depuis septembre 2022. Cette hausse est soutenue par la demande américaine et chinoise, bien que des incertitudes persistent en raison de retards réglementaires et d’opérations de maintenance programmées.
Un programme de mélange en progression
Le programme indien de mélange d’éthanol avec l’essence a progressé rapidement, atteignant près de 20 % en avril 2025, contre 12 % durant l’exercice précédent. Ce développement a permis d’économiser plus de INR1,26tn ($15bn) en importations de pétrole brut et de générer INR1,07tn ($13bn) de revenus supplémentaires pour les agriculteurs, selon les chiffres officiels.
Cependant, sans orientation politique claire sur les matières premières autorisées, ni investissements dans les installations AtJ à grande échelle, l’Inde reste exposée à un retard stratégique. « L’Inde dispose d’un éthanol abondant et à faible intensité carbone », a indiqué Mulay. « Mais sans une politique stable et des certifications adéquates, elle risque de rester à la traîne du Brésil sur ce marché. »