La Corée du Sud a annoncé une restructuration d’ampleur dans son industrie pétrochimique. Le 20 août, les dix plus grands groupes du pays ont signé un accord avec le ministère de l’Industrie pour réduire leurs capacités de vapocraquage de 2,7 à 3,7 millions de tonnes par an, soit environ 25 % d’une capacité nationale estimée à 14,7 millions de tonnes. Cette décision vise à endiguer une crise provoquée par une offre excédentaire persistante et une chute des marges de production.
Le ministre des Finances, Koo Yoon-cheol, a indiqué que les entreprises devront soumettre des plans détaillés de restructuration avant la fin de l’année, tout en pressant les acteurs d’agir dès le mois prochain. Il a averti que les aides fiscales, financières et réglementaires seraient strictement réservées aux entreprises capables de prouver un effort de redressement substantiel, excluant tout soutien aux groupes qualifiés de « passagers clandestins ».
Une industrie sous pression face à la concurrence chinoise
La restructuration intervient alors que la Chine a augmenté ses capacités de vapocraquage à environ 36 millions de tonnes en 2024, contre 22 millions en 2017. Ce bond de production, soutenu par des politiques industrielles agressives, a réduit les importations chinoises de produits pétrochimiques coréens, qui représentaient encore 42 % des exportations de Séoul en 2019. Le prix spot de l’éthylène en Asie a chuté de 35 % entre 2021 et 2024, selon ICIS, réduisant significativement la rentabilité des acteurs coréens.
Le taux d’utilisation moyen des unités de craquage sud-coréennes a reculé à 74 % en 2024, contre plus de 90 % au cours de la décennie précédente. Les entreprises non intégrées dans le raffinage apparaissent particulièrement vulnérables à cette pression concurrentielle, dépendant davantage des fluctuations du marché mondial.
Des fusions et fermetures en préparation
À Daesan, Lotte Chemical Corp. et HD Hyundai Co. explorent un regroupement de leurs centres de vapocraquage, avec l’apport d’actifs industriels par HD Hyundai Oilbank. À Ulsan, SK Innovation Co. et Korea Petrochemical Ind. Co. étudient une réduction coordonnée de leurs capacités. À Yeosu, premier hub pétrochimique du pays, sept vapocraqueurs sont concentrés pour une seule raffinerie, incitant GS Caltex, LG Chem et Lotte Chemical à envisager une mutualisation de leurs opérations.
En parallèle, Yeochun NCC Co. (YNCC) a suspendu son vapocraqueur n°3 en août pour raisons de trésorerie. Bien qu’une fermeture définitive soit envisagée, un différend entre ses deux actionnaires principaux, DL Chemical et Hanwha Solutions, bloque une décision. Les analystes estiment qu’un arrêt isolé ne suffira pas à atteindre les objectifs gouvernementaux, rendant probables des fusions et consolidations plus larges.
Un risque financier majeur
Un rapport du Boston Consulting Group, commandité par la Korea Chemical Industry Association (KCIA), souligne que 48 % des entreprises pétrochimiques sud-coréennes présentent une situation de solvabilité fragile. Le ratio dette nette sur EBITDA du secteur a atteint 5,3 en 2024, un seuil considéré comme critique par les agences de notation. Selon le BCG, près de la moitié des producteurs pourraient faire défaut d’ici trois ans si la tendance se maintient.
Le gouvernement insiste donc sur la nécessité d’un ajustement rapide. La restructuration vise à éviter une vague de défaillances qui fragiliserait un secteur pesant 20 % des exportations industrielles du pays et employant directement environ 110 000 personnes.
Recentrage vers les spécialités chimiques
L’accord ne se limite pas à la réduction de capacités. Il inclut également un recentrage stratégique vers les produits à haute valeur ajoutée, tels que les polymères avancés et les spécialités chimiques destinées à l’automobile, à l’électronique et au biomédical. Ces activités exigent des investissements lourds en R&D, estimés entre 50 et 120 millions de dollars par projet selon le Korea Development Institute. Le gouvernement a annoncé la création d’un fonds spécifique via la Korea Development Bank pour appuyer les initiatives de reconversion.
Ce pivot impose une transformation organisationnelle profonde, passant d’un modèle basé sur le volume à un modèle centré sur la valeur et l’innovation. Il requiert également un repositionnement commercial, avec un renforcement des relations clients sur des segments plus techniques et différenciés.
Gestion sociale et territoriale de la transition
La réorganisation se concentrera sur les trois principaux pôles industriels : Yeosu, Daesan et Ulsan. Le ministère de l’Industrie envisage aussi la désignation de Seosan comme zone de crise industrielle, ce qui permettrait d’activer des aides publiques locales et des prêts garantis pour limiter les pertes d’emplois. Cette mesure vise à réduire les effets sociaux d’une restructuration jugée inévitable par les autorités.
La pression sociale reste forte, car le secteur représente un pilier de l’économie régionale dans plusieurs villes portuaires. Les syndicats réclament déjà des garanties sur l’emploi et la reconversion des travailleurs impactés.
Un repositionnement dans un marché mondial instable
Le plan sud-coréen s’inscrit dans un contexte mondial marqué par la fin du supercycle pétrochimique observé entre 1992 et 2021. La demande se fragmente sous l’effet des tensions géopolitiques, du ralentissement démographique en Asie de l’Est et des impératifs climatiques. Le dérèglement climatique devrait notamment modifier la géographie de la demande, affectant davantage les économies vulnérables du Sud global.
Parallèlement, les technologies d’intelligence artificielle se développent dans le secteur. Plusieurs groupes coréens expérimentent l’IA pour optimiser la maintenance des unités, améliorer la gestion des chaînes d’approvisionnement et accélérer la mise au point de polymères recyclables. Si elles sont intégrées efficacement, ces innovations pourraient contribuer à accroître la compétitivité dans un environnement de plus en plus instable.