L’Inde et le Brésil renforcent leur coopération énergétique alors que Washington applique des tarifs punitifs de 50 % sur leurs exportations. Pour New Delhi, la diversification des approvisionnements pétroliers est devenue un impératif : la part du brut russe dans ses importations reste dominante mais suscite une dépendance jugée risquée. Pour Brasilia, l’enjeu est de trouver de nouveaux débouchés pour une production en hausse, alors que plus de 60 % de ses exportations pétrolières actuelles sont destinées à la Chine.
Sanctions américaines et réorientation commerciale
En août 2025, les États-Unis ont imposé un droit additionnel de 25 % sur les exportations indiennes, portant le tarif total à 50 %. En parallèle, les exportations brésiliennes vers les États-Unis ont été frappées par la même taxe, bien que certains produits énergétiques aient été exemptés. Ces mesures représentent une charge estimée à plus de 12 milliards de dollars pour les exportateurs indiens et brésiliens sur une base annuelle, selon des calculs officiels.
La réponse diplomatique a été immédiate. Narendra Modi et Luiz Inácio Lula da Silva ont convenu d’accélérer les échanges bilatéraux, avec pour objectif de porter le commerce global entre les deux pays de 16 milliards de dollars en 2024 à 20 milliards de dollars en 2030. L’énergie représente l’un des piliers de cette stratégie, aux côtés de la défense, de l’agriculture et des technologies.
Hausse rapide des flux pétroliers
Au premier semestre 2025, l’Inde a importé en moyenne 72 000 barils par jour (b/j) de pétrole brut brésilien, contre 41 000 b/j un an plus tôt, soit une augmentation de 75 à 80 %. Sur la même période, la Russie a fourni environ 1,67 million b/j à l’Inde, représentant plus de 40 % du panier, tandis que les États-Unis ont expédié 271 000 b/j (+51 %). L’Irak et l’Arabie saoudite, traditionnellement premiers fournisseurs, ont vu leurs volumes reculer de 2 à 4 %.
Le Brésil se place ainsi parmi les fournisseurs émergents de New Delhi, derrière le Nigeria, dont les expéditions vers l’Inde ont atteint 228 000 b/j au premier semestre (+26 % sur un an). Cette dynamique confirme une réallocation progressive vers des bruts non-OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole).
Grades de brut et coûts logistiques
Les cargaisons indiennes en provenance du Brésil se composent majoritairement de bruts moyens doux issus du pré-sal, avec environ 43 % de Lula/Tupi, 28 % de Sépia et 14 % d’Atapu. Le brut lourd Peregrino a représenté environ 14 % des volumes. L’Indian Oil Corporation (IOC) a réceptionné la majorité des cargaisons à son terminal de Paradip, tandis que Reliance Industries a importé Peregrino via son port de Sikka.
Acheminer un pétrolier très grande capacité (VLCC) du Brésil à l’Inde prend environ 28 à 30 jours, contre 6 à 8 jours depuis le Golfe. Les coûts de fret se situent entre 15 et 20 dollars par tonne métrique, soit près de trois fois plus que les 4 à 6 dollars par tonne depuis le Moyen-Orient. Ce différentiel oblige le Brésil à accorder des décotes de 1 à 2 dollars par baril pour rester compétitif.
Contrats récents et nouveaux accords
En février 2025, Petrobras a conclu un contrat d’un an avec Bharat Petroleum Corporation Limited (BPCL) portant sur un volume de 6 millions de barils de brut, soit environ 16 500 b/j. Cet accord, renouvelable, constitue la première fourniture de terme entre Petrobras et un raffineur indien. Il vient s’ajouter aux cargaisons ponctuelles achetées par IOC et Reliance.
Petrobras a également signé deux protocoles d’accord : l’un avec ONGC Videsh (filiale internationale d’ONGC), l’autre avec Oil India Limited. Ces accords prévoient une coopération technique sur l’exploration en eaux profondes et ultra-profondes, ainsi qu’un partage d’expertise sur les biocarburants.
Exposition amont et production attendue
Les compagnies indiennes détiennent déjà des participations au Brésil. ONGC possède une part dans le champ BC-10 (bassin de Campos), opéré par Shell, tandis que Bharat Petroleum détient des intérêts dans cinq blocs offshore. Actuellement, la production attribuée aux sociétés indiennes ne dépasse pas 8 000 barils équivalent pétrole par jour.
De nouveaux projets devraient cependant changer l’échelle : les champs Wahoo, SEAP-1 et SEAP-2 doivent entrer en production entre 2024 et 2027. Selon les projections, ces développements pourraient porter la production revenant aux entreprises indiennes à environ 40 000 barils équivalent pétrole par jour d’ici 2028, soit cinq fois plus qu’actuellement.
Concurrence asiatique et arbitrages indiens
La Chine, premier importateur mondial de brut, capte déjà plus de 60 % des exportations brésiliennes. En 2024, Pékin a importé environ 1,3 million b/j en provenance du Brésil, soit près de dix-huit fois plus que l’Inde. Les raffineries chinoises, confrontées aux restrictions sur le brut iranien, intensifient leurs achats de grades brésiliens, ce qui pourrait limiter l’accès indien.
L’Inde maintient donc une stratégie de diversification : en 2025, elle a augmenté ses achats de brut américain à 271 000 b/j, tout en conservant une dépendance forte aux barils russes. Les flux brésiliens s’inscrivent dans cet équilibre, offrant une source supplémentaire mais contrainte par la concurrence régionale et les coûts logistiques.
Au-delà du pétrole : bioénergie et renouvelables
L’Inde et le Brésil sont également liés par la Global Biofuels Alliance, créée en 2023 avec les États-Unis. En juillet 2025, les deux gouvernements ont signé un protocole d’accord sur les énergies renouvelables, couvrant l’éthanol, le carburant d’aviation durable (SAF) et les coopérations solaires et hydrogène. Le Brésil, qui produit plus de 30 milliards de litres d’éthanol par an, pourrait accroître ses exportations vers l’Inde, où le taux d’incorporation de bioéthanol a dépassé 12 % en 2025, contre 5 % en 2015.
Ces accords témoignent d’une diversification de la coopération énergétique, mais le pétrole brut reste la priorité immédiate compte tenu des volumes et de l’urgence de sécuriser des alternatives aux flux russes et moyen-orientaux.
Un partenariat en construction
Les sanctions américaines ont accéléré une tendance déjà en cours : l’Inde cherche à élargir son portefeuille d’approvisionnements et le Brésil veut diversifier ses débouchés au-delà de la Chine et des États-Unis. Les contrats signés en 2025, la hausse des flux maritimes et les projets amont offrent des premiers jalons concrets. La question demeure de savoir si ces initiatives permettront de faire du Brésil un fournisseur structurel pour l’Inde, ou si elles resteront limitées par les contraintes logistiques et les arbitrages économiques.