L’Azerbaïdjan et l’Arménie ont signé à la Maison Blanche un accord historique accordant aux États-Unis les droits de développement exclusifs pour 99 ans du corridor de Zangezur, rebaptisé Trump Route for International Peace and Prosperity (TRIPP). Cette infrastructure de 43 kilomètres traversant la province arménienne de Syunik connectera l’Azerbaïdjan continental à son enclave de Nakhitchevan, située à 32 kilomètres et frontalière avec la Turquie. Le consortium américain sélectionné développera des lignes ferroviaires, des oléoducs, des gazoducs, des câbles de fibre optique et potentiellement des lignes de transmission électrique. L’accord intervient après 37 années de conflit autour du Nagorno-Karabakh et quatre années de négociations intensives depuis la guerre de 2020 qui avait vu l’Azerbaïdjan reprendre le contrôle de territoires significatifs.
Un cadre juridique complexe pour le transit énergétique
Le corridor fonctionnera sous la juridiction arménienne conformément aux termes de l’accord, mais les États-Unis détiendront les droits de développement exclusifs et sous-loueront l’exploitation à des opérateurs privés sélectionnés. Cette structure juridique hybride nécessite l’harmonisation de trois cadres réglementaires distincts : le droit arménien pour la souveraineté territoriale, le droit américain pour les contrats de développement, et les normes internationales pour le transit énergétique. L’accord stipule que l’Arménie conserve le contrôle douanier et sécuritaire tout en garantissant un passage sans entrave pour les marchandises azerbaïdjanaises. Les modalités d’arbitrage prévoient le recours à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye en cas de différend entre les parties.
L’International Development Finance Corporation (DFC) américaine a alloué 500 millions de dollars de financement initial avec des garanties de prêts pouvant atteindre 5 milliards de dollars, conditionnées au respect de normes environnementales et sociales strictes. Le consortium sélectionné devra se conformer aux standards de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les projets d’infrastructure transfrontaliers. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) étudie une participation de 1,5 milliard de dollars sous réserve de l’alignement du projet avec les objectifs climatiques européens. Les contrats de transit devront respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) concernant le libre passage des marchandises.
Les conditions constitutionnelles et diplomatiques de l’accord
L’Azerbaïdjan exige que l’Arménie modifie sa constitution pour supprimer l’article 13 faisant référence à la déclaration d’indépendance de 1990 qui mentionne l’unification avec le Nagorno-Karabakh. Cette modification constitutionnelle nécessitera un référendum national que le Premier ministre Nikol Pashinyan devra organiser avant les élections parlementaires de juin 2026. Le processus référendaire arménien requiert une majorité qualifiée de 60% des votants et un taux de participation minimum de 50% pour valider les amendements constitutionnels. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a proposé d’envoyer des observateurs pour superviser le processus référendaire.
L’accord prévoit également la dissolution du Groupe de Minsk de l’OSCE, mécanisme de médiation établi en 1992 et co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie. Cette dissolution nécessite l’approbation formelle des 57 États membres de l’OSCE lors de la prochaine réunion ministérielle en décembre 2025. Les missions de surveillance de l’Union européenne actuellement déployées le long de la frontière arméno-azerbaïdjanaise devront être retirées selon les termes de l’accord. Le retrait des 3 500 gardes-frontières russes stationnés à la frontière arméno-iranienne devra être coordonné avec le déploiement de forces arméniennes formées selon les standards de l’OTAN.
Les implications réglementaires pour le secteur énergétique
Le Trans-Caspian International Transport Route (TITR) devra être adapté pour intégrer le corridor TRIPP dans le cadre réglementaire existant du Middle Corridor. Les opérateurs gaziers devront négocier de nouveaux accords de transit conformes aux directives européennes sur l’accès des tiers aux réseaux (Third Party Access). La State Oil Company of Azerbaijan Republic (SOCAR) prévoit d’augmenter sa production de 35 à 45 milliards de mètres cubes d’ici 2030, nécessitant l’obtention de nouvelles licences d’exploitation auprès du ministère azerbaïdjanais de l’Énergie. Les contrats d’approvisionnement à long terme avec les acheteurs européens devront être renégociés pour intégrer les nouvelles routes de transit.
La Commission européenne devra réviser son cadre réglementaire pour le Southern Gas Corridor afin d’accommoder les volumes supplémentaires transitant par le corridor TRIPP. Les 10 milliards de mètres cubes actuellement acheminés via le Trans Anatolian Pipeline (TANAP) et le Trans Adriatic Pipeline (TAP) pourraient doubler d’ici 2035. Les opérateurs devront obtenir des certifications de conformité environnementale pour chaque segment du pipeline selon la directive européenne 2011/92/UE sur l’évaluation des incidences environnementales. Les tarifs de transit seront régulés par un mécanisme tripartite impliquant les régulateurs arménien, azerbaïdjanais et américain.
Les obstacles juridiques et diplomatiques à surmonter
L’Iran a menacé d’invoquer le Traité d’amitié, de coopération et de sécurité mutuelle signé avec l’Arménie en 1992 pour bloquer le projet. Téhéran pourrait saisir la Cour internationale de Justice arguant que le corridor viole le principe de souveraineté territoriale et menace la sécurité régionale. Les autorités iraniennes ont annoncé des exercices militaires impliquant 50 000 soldats dans les provinces frontalières, invoquant leur droit à la légitime défense préventive selon l’article 51 de la Charte des Nations unies. Le ministère iranien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur arménien pour exprimer ses « sérieuses préoccupations » concernant la présence américaine à proximité de ses frontières.
La Russie conteste la légalité du transfert de contrôle du corridor sans consultation préalable des garants du cessez-le-feu de 2020. Moscou invoque l’accord trilatéral du 9 novembre 2020 qui prévoyait le contrôle russe des voies de communication entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan. Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que tout changement unilatéral des arrangements de sécurité régionaux nécessitait l’approbation de toutes les parties signataires. Les juristes russes étudient la possibilité de contester l’accord devant les instances internationales, arguant qu’il viole les principes du droit international concernant les obligations conventionnelles préexistantes.
Le calendrier réglementaire et les étapes de mise en œuvre
Les négociations formelles pour la sélection du consortium opérateur débuteront la semaine prochaine avec neuf candidats préqualifiés, dont trois sociétés américaines. Le processus d’appel d’offres suivra les procédures de la Federal Acquisition Regulation américaine avec une phase de due diligence de 90 jours. Les soumissionnaires devront démontrer une capacité financière minimale de 2 milliards de dollars et une expérience de gestion d’infrastructures transfrontalières. L’attribution finale nécessitera l’approbation du Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) pour les aspects de sécurité nationale.
La construction débutera au premier trimestre 2026 après l’obtention de toutes les autorisations environnementales et réglementaires requises. Les permis de construction devront être délivrés par les autorités arméniennes pour chaque segment du corridor traversant les municipalités de Syunik. L’évaluation d’impact environnemental transfrontalière prendra 12 mois selon les normes de la Convention d’Espoo sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement. Les travaux ferroviaires de 4,2 milliards de dollars s’étaleront sur 36 mois avec des audits de conformité trimestriels par des inspecteurs internationaux indépendants.
Le corridor TRIPP représente donc un défi réglementaire majeur nécessitant l’harmonisation de multiples cadres juridiques nationaux et internationaux. Les investisseurs devront naviguer dans un environnement juridique complexe marqué par des oppositions diplomatiques et des incertitudes constitutionnelles. La réussite du projet dépendra de la capacité des parties à respecter leurs engagements réglementaires tout en gérant les contestations juridiques potentielles de l’Iran et de la Russie. Les implications pour le cadre réglementaire énergétique européen sont substantielles, nécessitant des adaptations significatives pour accommoder cette nouvelle route de transit estimée à plus de 10 milliards de dollars d’investissements.