Les ministres iranien du pétrole Mohsen Paknejad et irakien de l’électricité Ziyad Ali Fadhil ont annoncé le 2 août des « résultats positifs » dans leurs négociations sur la dette gazière irakienne et les futurs volumes d’exportation. Cette rencontre intervient alors que l’Irak fait face à une vague de chaleur exceptionnelle et que l’Iran a réduit ses livraisons de gaz de 55 millions de mètres cubes par jour à seulement 25 millions depuis mai. Les deux pays affirment approcher d’un règlement sans toutefois révéler les détails financiers ou opérationnels de l’accord. Cette opacité reflète la complexité d’une relation énergétique contrainte par les sanctions américaines et les défis domestiques des deux nations.
Une dette colossale sous le poids des sanctions
La dette irakienne envers l’Iran pour les importations gazières s’élève entre 11 et 12 milliards de dollars selon plusieurs sources diplomatiques, bien que Téhéran n’ait officiellement confirmé aucun montant lors de cette rencontre. La National Iranian Gas Company (NIGC) revendique à elle seule plus de 5 milliards de dollars d’arriérés, dont 3 milliards sont bloqués à la Trade Bank of Iraq en raison des restrictions bancaires internationales. Les mécanismes de paiement restent le principal obstacle, l’Irak ayant initié depuis juillet 2023 un système de troc controversé impliquant le transfert de 600 000 à 900 000 tonnes mensuelles de fuel oil vers l’Iran. Cette solution de contournement des sanctions soulève des questions sur sa légalité au regard du droit américain et pourrait exposer Bagdad à des mesures punitives de Washington.
L’administration Biden a accordé des dérogations temporaires de 120 jours permettant à l’Irak d’importer du gaz iranien, mais la dernière échéance expire le 7 mars 2025. Le mémorandum présidentiel NSPM-2 de l’administration Trump signale une intention de ne pas renouveler ces exemptions, plaçant l’Irak dans une position précaire. Les volumes contractuels entre les deux pays prévoient normalement 50 à 70 millions de mètres cubes quotidiens, ajustables selon la demande saisonnière, transitant par les points frontaliers de Shalamcheh et Naft Shahr. L’Iran vend son gaz à l’Irak à des prix supérieurs au marché international, exploitant la dépendance de son voisin qui ne dispose pas d’alternatives immédiates pour alimenter ses centrales électriques.
L’Irak face à un déficit énergétique structurel
Le système électrique irakien opère avec une capacité installée de 27 à 28 gigawatts (GW) alors que la demande de pointe estivale devrait atteindre 45 à 55 GW en 2025. Ce déficit structurel de 40 à 60% laisse des millions d’Irakiens sans électricité pendant les périodes critiques. La contribution iranienne, historiquement de 10 GW représentant 40% de la production irakienne, s’est effondrée à seulement 1,5 GW suite aux récentes réductions d’approvisionnement. L’Irak brûle paradoxalement 17 à 18 milliards de mètres cubes de gaz associé par torchage annuel, un volume équivalent à ses importations iraniennes, faisant du pays le troisième plus grand gaspilleur mondial après la Russie et l’Iran.
Des accords récents avec des entreprises américaines incluant KBR, Baker Hughes et General Electric visent à capturer ce gaz torché, tandis que des interconnexions électriques avec la Jordanie (250 MW), la Turquie (300 MW) et les pays du Conseil de coopération du Golfe promettent une diversification progressive. Le gouvernement irakien a annoncé son intention d’atteindre l’indépendance gazière d’ici 2028, mais les experts restent sceptiques quant à la faisabilité de cet objectif sans investissements massifs dans l’infrastructure de capture et de transport. Les pertes du réseau électrique irakien atteignent 40 térawattheures annuellement, quatre fois la production totale des générateurs de quartier, soulignant l’inefficacité systémique du secteur.
La crise énergétique iranienne complique les exportations
L’Iran fait face à sa propre crise énergétique avec un déficit gazier hivernal de 260 millions de mètres cubes par jour, forçant la fermeture d’offices gouvernementaux dans 28 provinces. Le champ de South Pars, source de 70% de la production gazière iranienne avec environ 711 millions de mètres cubes quotidiens, subit une baisse de pression de 7 bars annuellement, compromettant la production future. Téhéran a investi 20 milliards de dollars dans un projet de maintien de pression comprenant 28 plateformes, mais les résultats restent incertains. La Phase 11 de South Pars, stratégiquement proche de la frontière maritime avec le Qatar, a augmenté sa production de 15 à 18-20 millions de mètres cubes par jour.
Cette situation paradoxale où l’Iran exporte du gaz malgré ses pénuries domestiques reflète les priorités économiques du régime, qui privilégie les revenus d’exportation estimés à 4 milliards de dollars annuels en provenance d’Irak. Les coupures d’électricité généralisées en Iran et l’incapacité à répondre à la demande domestique créent des tensions sociales croissantes. Le ministre iranien du pétrole maintient néanmoins que les exportations vers l’Irak se poursuivront conformément au contrat quinquennal signé en mars 2024, malgré les pressions américaines et les critiques internes sur la priorisation des exportations au détriment des besoins nationaux.
Les négociations actuelles entre l’Iran et l’Irak illustrent la fragilité d’une relation énergétique construite sur des bases géopolitiques instables. Alors que Bagdad cherche désespérément à diversifier ses sources d’approvisionnement et que Téhéran jongle entre ses besoins domestiques et ses impératifs de revenus, la question demeure : combien de temps cette interdépendance dysfonctionnelle peut-elle perdurer face aux pressions internationales croissantes et aux réalités énergétiques régionales ?