La crise énergétique qui frappe l’Afrique du Sud depuis plusieurs années conduit un nombre croissant de consommateurs résidentiels à se tourner vers des systèmes solaires privés. Cette dynamique, initialement marginale, atteint désormais une ampleur susceptible de menacer directement la stabilité financière du principal fournisseur d’électricité du pays, Eskom. Selon les données fournies par Eskom dans son rapport annuel 2023-2024, le volume d’électricité vendu au secteur résidentiel a baissé de 3,2 % en un an, contribuant à une diminution globale des ventes de 5,6 %. La compagnie publique a déclaré un déficit annuel record de 55,3 milliards de rands (environ 3 milliards de dollars), en hausse significative par rapport aux 26,2 milliards de rands de l’année précédente.
Impact de l’autoproduction sur le modèle économique d’Eskom
Entre mars 2022 et juillet 2024, la capacité des installations solaires sur toiture en Afrique du Sud est passée de 983 MW à près de 5 790 MW, selon les chiffres rapportés par l’expert Anton Eberhard de l’Université du Cap. Ce phénomène traduit une réduction directe des revenus provenant des segments historiquement solvables, car ce sont précisément les consommateurs les mieux facturés qui se tournent massivement vers l’autoproduction. Ainsi, la baisse des ventes d’Eskom impacte directement le mécanisme de péréquation interne, où les revenus générés auprès des usagers solvables financent traditionnellement les coûts du réseau dans les zones économiquement moins favorisées.
Par ailleurs, l’augmentation tarifaire décidée par le National Energy Regulator of South Africa (NERSA), atteignant 18,65 % en avril 2023, pourrait paradoxalement renforcer cette tendance vers l’autoproduction. Cette hausse vise principalement à compenser les pertes d’exploitation d’Eskom, mais elle incite davantage les usagers à se détacher du réseau public, générant ainsi un cercle vicieux potentiellement dommageable à la viabilité économique de la société publique.
La surveillance des installations solaires par imagerie satellite
Pour contrôler cette évolution et préserver sa base tarifaire, Eskom a déployé depuis début 2025 une stratégie active de régulation des systèmes solaires installés clandestinement. Selon Central News, la société utilise désormais l’imagerie satellitaire combinée à des analyses de données avancées pour détecter les installations solaires non déclarées (Small-Scale Embedded Generation ou SSEG). Cette surveillance permet d’imposer aux consommateurs concernés des frais d’enregistrement et d’éventuelles amendes pouvant atteindre jusqu’à 50 000 rands. De nombreuses municipalités, notamment dans le KwaZulu-Natal, recourent également à ces méthodes pour renforcer leur contrôle sur les installations solaires illégales, comme le souligne le quotidien sud-africain The Mercury.
Cependant, l’effet dissuasif de ces mesures reste encore limité face aux économies substantielles réalisées par les ménages équipés en solaire. Les coûts supplémentaires imposés par Eskom, tels que le passage obligatoire au tarif Homeflex, poussent néanmoins certains foyers à revoir leur stratégie énergétique, ralentissant légèrement l’engouement observé depuis 2022, selon une analyse récente publiée par BusinessTech.
Des disparités géographiques et économiques marquées
Les investissements résidentiels dans l’énergie solaire révèlent toutefois des inégalités majeures entre les quartiers sud-africains. Une étude de l’Université d’Oxford publiée en avril 2025 révèle par exemple qu’à Johannesburg, le quartier huppé de Rietrivier Estate compte en moyenne treize panneaux solaires par logement, contre seulement un à Benoni et aucun à Thembisa, zone à revenus faibles. Cet écart significatif illustre la répartition très inégale des capacités d’investissement des ménages sud-africains, accentuant les écarts d’accès à une énergie fiable et stable.
Les programmes publics de soutien à l’autoproduction restent encore limités à certaines grandes villes et municipalités aisées. Stats SA (l’agence nationale sud-africaine de statistiques) indique que seulement 21 municipalités sur les 257 du pays avaient mis en place des installations solaires domestiques fin 2022, touchant environ 150 000 foyers principalement situés dans les provinces développées du Gauteng et du Cap-Occidental. Les ménages modestes restent donc majoritairement dépendants d’Eskom et exposés à la hausse continue des tarifs.
L’évolution à court terme demeure incertaine alors que la production privée d’électricité, incluant les installations résidentielles et les producteurs indépendants, pourrait dépasser celle d’Eskom dès 2025, selon une projection réalisée par la banque d’investissement Morgan Stanley.