La péninsule ibérique a subi le 28 avril 2025 une panne électrique majeure, privant l’Espagne et le Portugal d’électricité pendant plusieurs heures. La coupure, l’une des plus graves survenues en Europe depuis vingt ans, a déclenché une crise majeure affectant directement des millions d’habitants, bloquant transports, écoles et industries. Un rapport détaillé publié le 17 juin par le gouvernement espagnol précise enfin les multiples causes ayant conduit à cet événement inédit et identifie les responsabilités techniques en jeu. Ce rapport constitue la première analyse complète officielle sur le sujet et intervient après plusieurs semaines d’enquête rigoureuse menée par une commission spécialisée nommée directement par le gouvernement espagnol.
Les causes techniques précises du blackout
Selon la ministre espagnole de la Transition écologique, Sara Aagesen, le blackout trouve son origine dans un phénomène de surtensions multiples, ayant entraîné une réaction en chaîne incontrôlable. Cette situation résulte d’un concours d’erreurs de planification et d’appréciation de la part du gestionnaire du réseau électrique espagnol, Red Eléctrica de España (REE). Ce dernier avait opté ce jour-là pour un dispositif de contrôle de tension minimal, jugé le plus faible mis en place depuis le début de l’année 2025. À ces erreurs initiales s’est ajoutée la réaction de plusieurs centrales électriques privées qui ont automatiquement déconnecté leurs unités afin de protéger leurs installations, exacerbant la situation critique du réseau.
Ce phénomène s’est déroulé extrêmement rapidement, en l’espace de moins d’une minute, lorsque trois sous-stations majeures situées à Grenade, Badajoz et Séville se sont déconnectées quasi simultanément. L’incident a ainsi précipité une défaillance généralisée du réseau qui s’est étendue au Portugal et a isolé la péninsule ibérique du reste du réseau européen, notamment des connexions avec la France et le Maroc. La capacité de production a été quasi totalement perdue instantanément, plongeant la péninsule entière dans l’obscurité.
Réactions politiques et enquête européenne en cours
Immédiatement après l’incident, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a ordonné la création d’une commission d’enquête, demandant au public de ne pas spéculer avant d’obtenir les résultats précis de l’analyse technique. Bien que la date initialement prévue pour les résultats ait été estimée à plusieurs mois, le gouvernement a accéléré le processus, tenant compte de l’impact économique et social considérable de l’événement.
En parallèle, le Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (European Network of Transmission System Operators for Electricity, ENTSO-E) mène sa propre enquête indépendante. Celle-ci vise à déterminer précisément les conséquences potentielles pour l’ensemble du réseau européen. L’autorité espagnole de régulation de la concurrence (Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia, CNMC) conduit également une enquête complémentaire pour déterminer précisément les responsabilités des acteurs privés impliqués.
Répercussions immédiates sur les infrastructures et les entreprises
Le blackout a eu des conséquences directes et très concrètes sur le tissu économique et social de la péninsule ibérique. Les services de transports publics, notamment ferroviaires et aériens, ont été suspendus pendant plusieurs heures, provoquant un chaos logistique. Les entreprises industrielles, en particulier dans les secteurs manufacturiers et technologiques, ont enregistré d’importantes pertes économiques dues à l’arrêt brutal de leurs chaînes de production. De nombreuses écoles, hôpitaux et administrations ont également dû fonctionner en mode dégradé.
Le rapport souligne également la vulnérabilité inquiétante des infrastructures critiques et pointe le manque d’investissements en matière de sécurité du réseau électrique. Il rejette toutefois formellement l’hypothèse d’une cyberattaque, initialement envisagée par certains observateurs.
Financement européen : un projet stratégique validé par la BEI
Face à ces révélations et dans le cadre d’un plan européen de résilience énergétique, la Banque européenne d’investissement (BEI) a approuvé le 16 juin, soit la veille de la publication du rapport, un financement substantiel de 1,6 milliard d’euros destiné à renforcer l’interconnexion électrique entre l’Espagne et la France. Ce projet stratégique, baptisé « Bay of Biscay », prévoit une interconnexion sous-marine de haute capacité reliant le Pays basque espagnol à la région Nouvelle-Aquitaine en France.
Le projet porté conjointement par Red Eléctrica et le gestionnaire français Réseau de Transport d’Électricité (RTE) bénéficiera directement d’un premier versement immédiat de 1,2 milliard d’euros, complété par une subvention additionnelle de 578 millions d’euros du fonds Connecting Europe Facility. L’objectif est clair : porter la capacité d’interconnexion entre la France et l’Espagne à 5 GW d’ici 2028, contre seulement 2,8 GW actuellement.
Implications économiques et stratégiques du financement
Cet investissement européen répond directement aux vulnérabilités révélées par le blackout d’avril. Il permettra d’éviter à l’avenir les risques liés aux déséquilibres de production, en particulier en période de forte production d’énergie renouvelable intermittente. Le renforcement des capacités d’échange électrique s’inscrit également dans la politique européenne d’intégration des marchés de l’énergie, essentielle pour la stabilisation des prix et la sécurité énergétique du continent.
En augmentant drastiquement la capacité d’échange entre les deux pays, l’interconnexion Bay of Biscay devrait faciliter les flux énergétiques bilatéraux et renforcer significativement la résilience du réseau ibérique. Le projet est considéré comme stratégique par les deux pays, qui collaborent activement via leur coentreprise commune, Inelfe.
Vers un renforcement généralisé du réseau européen
Les leçons tirées de ce blackout historique auront nécessairement des implications durables pour l’ensemble du secteur électrique européen. Les régulateurs nationaux et les opérateurs de réseaux vont devoir intégrer des dispositifs renforcés de surveillance et de contrôle des flux électriques, mais aussi revoir leurs stratégies d’investissement pour renforcer les infrastructures existantes et éviter de nouvelles pannes majeures à l’avenir.
Ce financement européen ambitieux représente un modèle concret de réponse aux vulnérabilités critiques révélées par le blackout espagnol. Les décideurs publics et privés seront désormais amenés à adapter leurs politiques énergétiques et leurs stratégies d’investissement en fonction des recommandations techniques du rapport, pour garantir la robustesse et la sécurité énergétique du continent.