Le président américain Donald Trump a signé vendredi quatre décrets présidentiels majeurs pour revitaliser la filière nucléaire civile américaine. Avec un objectif annoncé de quadrupler la capacité de production nucléaire du pays d’ici à 2050, l’administration Trump ambitionne de transformer radicalement le paysage énergétique national, en simplifiant drastiquement les procédures réglementaires, renforçant les capacités industrielles et sécurisant l’approvisionnement national en uranium enrichi. Actuellement, les États-Unis disposent de 94 réacteurs nucléaires civils, dont l’âge moyen atteint désormais 42 ans, nécessitant un renouvellement rapide afin de répondre à une consommation énergétique en constante augmentation.
Réforme profonde de la Nuclear Regulatory Commission (NRC)
Au cœur de cette relance figure une refonte complète de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), organisme chargé de réguler le secteur nucléaire aux États-Unis. Les décrets imposent notamment à la NRC un délai maximal d’examen des demandes de licence pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires fixé à 18 mois, contre plusieurs années aujourd’hui. Selon le président Trump, ces nouvelles procédures seront « très rapides et très sûres », destinées à rassurer les investisseurs potentiels et les industriels du secteur nucléaire. Un haut responsable de la Maison Blanche a précisé anonymement que l’objectif immédiat est de tester et déployer de nouveaux réacteurs avant la fin du mandat actuel de Trump, en janvier 2029.
Les marchés financiers réagissent fortement
L’annonce de ces mesures a provoqué une forte hausse des actions d’entreprises nucléaires en bourse dès vendredi matin. La startup Oklo, spécialisée dans les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors – SMR), a ainsi enregistré une augmentation spectaculaire de plus de 23 %, atteignant brièvement 52,17 dollars l’action. NuScale Power, une autre entreprise active dans le secteur des réacteurs modulaires avancés, a également progressé significativement, affichant une hausse de près de 19 %. Les grands groupes du secteur, comme Constellation Energy et Vistra Corp., ont chacun connu des hausses de plus de 2 %, renforçant la confiance du marché envers la capacité de ces sociétés à tirer parti de la relance nucléaire américaine. De son côté, Cameco, société canadienne parmi les leaders mondiaux de l’uranium, a vu son titre bondir de 11 %, profitant directement des perspectives accrues de demande américaine en uranium enrichi.
La sécurité énergétique face à la concurrence chinoise
Le secrétaire américain à l’Intérieur, Doug Burgum, a précisé que ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à maintenir une compétitivité énergétique et technologique face à la Chine. L’administration américaine considère l’accès à une énergie stable et abondante comme un impératif stratégique, particulièrement pour alimenter les gigantesques infrastructures de données nécessaires au développement rapide de l’intelligence artificielle (IA). La consommation énergétique croissante de ces installations impose une source fiable et décarbonée, positionnant l’énergie nucléaire comme élément clé de la stratégie technologique américaine à long terme.
Dans cette optique, un projet d’envergure nommé Stargate, porté par Sam Altman d’OpenAI, SoftBank et Oracle, prévoit des investissements colossaux atteignant jusqu’à 500 milliards de dollars dans la construction de centres de données et d’infrastructures liées à l’IA aux États-Unis. L’administration Trump prévoit que ces installations bénéficieront directement des nouvelles capacités énergétiques générées par le déploiement accéléré de réacteurs nucléaires avancés.
Renforcer l’approvisionnement en uranium domestique
Un volet crucial des décrets concerne la sécurisation de l’approvisionnement en uranium enrichi, indispensable au fonctionnement des réacteurs nucléaires américains. Actuellement, les États-Unis importent environ 25 % de leur uranium enrichi, notamment depuis la Russie, exposant le pays à une dépendance géopolitique jugée risquée par les autorités américaines. Ainsi, l’administration Trump prévoit de stimuler significativement l’extraction minière et les capacités d’enrichissement d’uranium sur le territoire américain, afin de garantir une autonomie stratégique complète et réduire la dépendance vis-à-vis des sources étrangères dans un contexte international marqué par des tensions accrues.
Le contexte international et l’accélération nucléaire mondiale
Ces mesures américaines interviennent alors que plusieurs grandes puissances mondiales intensifient elles aussi leurs investissements dans le secteur nucléaire. En France, le gouvernement projette de construire jusqu’à 14 nouveaux réacteurs d’ici 2038 pour maintenir son avance technologique et industrielle. La Chine, quant à elle, affiche une dynamique similaire avec actuellement 57 réacteurs nucléaires en exploitation, égalant désormais la France, et 27 réacteurs supplémentaires actuellement en chantier. La Russie, leader mondial dans l’exportation de centrales nucléaires, poursuit activement 26 projets, dont 6 sur son propre territoire.
Des attentes élevées mais des réserves exprimées
Malgré l’enthousiasme général suscité par ces annonces, certains experts restent prudents quant aux effets immédiats des décrets présidentiels. Jonathan Hinze, président de la société d’analyse UxC spécialisée dans le marché du combustible nucléaire, souligne l’absence de financements gouvernementaux additionnels dans ces décrets. Il estime que l’efficacité réelle de ces mesures dépendra largement de la gestion concrète par le Département de l’Énergie (Department of Energy – DOE) des programmes existants, notamment ceux qui financent les projets liés au cycle du combustible nucléaire. De son côté, Rob Thummel, gestionnaire senior chez Tortoise Capital, considère que les grandes entreprises américaines comme Constellation Energy ou Vistra restent néanmoins bien positionnées pour tirer pleinement avantage de ces réformes réglementaires et industrielles, et de l’intérêt accru des marchés pour le nucléaire.
Ces décrets présidentiels annoncent ainsi une phase majeure de transformation pour le secteur nucléaire américain, dont la mise en œuvre concrète sera étroitement surveillée par les marchés financiers et les observateurs internationaux dans les mois et années à venir.