Moins de promesses, plus d’engagements: les investisseurs multiplient les demandes à l’occasion des assemblées générales des entreprises pour améliorer la prise en compte du climat et remportent quelques succès. Moyen privilégié du dialogue actionnarial, les résolutions climatiques se développent et ne sont pas limitées aux banques ou aux entreprises pétrolières.
Cette année aux Etats-Unis, plus de 120 résolutions climat ont été déposées par des actionnaires, deux fois plus qu’il y a deux ans, confirmant l’élan de 2022, selon un décompte provisoire de l’organisation de conseil actionnarial Proxy Preview. « Les demandes des actionnaires sont claires: ils veulent des données pertinentes car ils ont passé depuis longtemps le temps où les promesses sont acceptables », a expliqué au cours d’une présentation Michael Passoff, dirigeant de Proxy Preview.
Au-delà des données sur les émissions carbone, la lutte contre la déforestation ou encore une meilleure mesure des émissions de méthane ont aussi été à l’ordre du jour. Dans le meilleur des cas, ces résolutions sont adoptées et mènent à de réels changements dans l’entreprise, comme chez ExxonMobil où la société d’investissement Engine N°1 a obtenu la nomination de trois nouveaux membres du conseil d’administration en 2021, dans l’espoir de voir un changement de trajectoire du géant pétrolier américain.
« Aux Etats-Unis, dans les faits, la démocratie actionnariale est complètement acquise », contrairement à l’Europe où les règles pour déposer une résolution sont plus complexes, souligne Sophie Vermeille, avocate qui travaille avec des associations d’investisseurs souhaitant déposer des résolutions.
Résolutions reprises
Le point de vue des investisseurs en Europe a moins de poids, et ils peinent à obtenir plus de 50% de voix favorables car leurs résolutions sont souvent « perçues comme agressives et donc remises en cause » par les dirigeants, observe Bénédicte Hautefort, cofondatrice de la fintech Scalens. Cela n’empêche pas ces initiatives d’avoir des impacts positifs. « Les résolutions climatiques, à travers même leur dépôt, suffisent à envoyer un signal aux entreprises pour rehausser leurs ambitions », confirme Lucie Pinson de l’ONG Reclaim Finance.
Chez Engie par exemple, le président du conseil d’administration Jean-Pierre Clamadieu a promis de prendre en compte le soutien notable (24% des votes) à une résolution consultative de ses actionnaires dans les « réflexions (du conseil d’administration, NDLR) sur la manière de poursuivre le dialogue sur ces sujets climatiques ».
Autre exemple avec Carrefour, qui « a repris à son compte et mot pour mot » la résolution soumise par Sycomore et d’autres investisseurs demandant des précisions sur les moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs de réduction de ses émissions, notamment indirectes, indique Bertille Knuckey, responsable de l’engagement de Sycomore AM.
La proposition d’actionnaires sera donc soumise au vote des actionnaires le 26 mai, en tant que résolution apportée par Carrefour, qui appelle ainsi à voter en faveur. Certaines ne sont pas présentées devant l’assemblée générale car l’entreprise prend en amont des mesures jugées suffisantes par les actionnaires. Le constructeur de matériel agricole John Deere a trouvé un accord sur la publication d’un plan de transition, tout comme la banque Morgan Stanley pour décrire comment elle entend aligner ses activités sur ses objectifs sectoriels de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Cette confrontation entre actionnaires et dirigeants va-t-elle jusqu’à provoquer un vrai déclic au sommet des entreprises ? « Le sujet climat monte, c’est sûr, mais je ne suis pas sûre que les entreprises ne s’en seraient pas saisies sans les résolutions des actionnaires », nuance toutefois Bénédicte Hautefort. Dans tous les cas, les entreprises « sont poussées à ajuster leur copie », souligne Bertille Knuckey, qu’elles aient déjà une stratégie climat ou non, et qu’elles proposent aux actionnaires de se prononcer sur cette stratégie ou pas.