La dernière perspective de l’International Energy Agency (IEA, Agence internationale de l’énergie — AIE) décrit une montée en puissance inédite du GNL, portée par des décisions d’investissement fermes et un pipeline de projets déjà engagés. Le socle repose sur l’ajout de capacités de liquéfaction et sur la progression des ramp-ups dans plusieurs bassins. Le marché reste orienté par des arbitrages entre sécurité d’approvisionnement, coût marginal et disponibilité logistique. Les équilibres d’échanges évoluent vers une flexibilité accrue, soutenue par des contrats plus modulables et une liquidité renforcée.
Capacités et calendrier industriel
L’IEA recense environ 300 milliards de mètres cubes (bcm) par an de nouvelles capacités d’exportation de GNL à l’horizon 2030, principalement aux États-Unis et au Qatar. En tenant compte des déclins et des ramp-ups réels, l’augmentation nette potentielle d’offre s’établit autour de 250 bcm par an. Les final investment decisions (FID, décision finale d’investissement — DFI) ont atteint un sommet dans le segment américain, avec plus de 80 bcm/an sanctionnés sur l’exercice en cours. Cette cadence concentre la prochaine vague d’offre sur quelques pôles, tout en transférant une part accrue de la sécurité d’approvisionnement vers la flotte de méthaniers et les terminaux de regazéification.
La progression de l’offre exerce une pression statistique à la baisse sur les différentiels spot entre bassins. Le resserrement des spreads réduit l’intensité des arbitrages opportunistes et favorise des stratégies d’achats plus stables pour les acteurs exposés au court terme. Les effets prix dépendront toutefois du phasage des mises en service, des maintenances programmées et de la disponibilité des navires. Les réallocations de flux par rapport aux liaisons gazières longue distance devraient se poursuivre, renforçant le rôle du GNL dans l’équilibrage interrégional.
Trajectoires de demande et élasticité aux prix
Le scénario de base de l’IEA anticipe une croissance moyenne de la demande gazière proche de 1,5% par an jusqu’en 2030, soit environ 380 bcm additionnels. L’Asie-Pacifique capterait près de la moitié de cette hausse, avec des trajectoires hétérogènes selon les mix électriques et la disponibilité des infrastructures aval. Le Moyen-Orient contribuerait à près de 30% de la progression, soutenu par des bascules fuel-to-gas dans la production d’électricité. À court terme, la croissance mondiale ralentit sous 1%, reflétant des niveaux de prix encore élevés et des ajustements industriels.
Le cas haut explore l’impact d’une baisse plus prononcée des prix du GNL sur l’élasticité régionale, ajoutant plus de 65 bcm/an à l’horizon 2030 par rapport au scénario de base. Cette sensibilité est particulièrement marquée dans les économies émergentes d’Asie, où la compétitivité relative du GNL face au charbon et au pétrole conditionne l’utilisation des centrales importatrices. La matérialisation de cette trajectoire suppose des réseaux intérieurs adaptés et des cadres tarifaires cohérents. Les risques de change et de crédit demeurent des paramètres déterminants pour les acheteurs indexés sur des hubs internationaux.
Contrats, indexations et liquidité
La part des contrats sans contrainte de destination (destination-free) devrait légèrement dépasser la moitié des volumes contractés à l’horizon 2030. Cette évolution renforce la fongibilité des cargaisons et facilite les redirections selon les signaux de prix. Les formules d’indexation hub et hybrides gagnent du terrain au détriment d’une indexation exclusivement pétrole, élargissant l’éventail des options de couverture. Le développement des « portfolio players » accroît l’optionalité commerciale et la profondeur du marché secondaire.
Les durées contractuelles restent majoritairement longues depuis 2022, combinant bancabilité côté projets et visibilité côté acheteurs. Les clauses de flexibilité de volume et de revente, couplées à une diversification des indexations, soutiennent la gestion des risques. Ce cadre n’élimine pas le risque de décalage entre calendriers de project finance et comportements d’optimisation commerciale, surveillé par les prêteurs et les traders d’équilibre.
Coûts, financement et intégration du captage
La carbon capture, utilization and storage (CCUS, captage, utilisation et stockage du carbone — CSC) progresse dans l’upstream et la liquéfaction pour réduire l’intensité d’émissions des Scopes 1 et 2. Des modules de captage et des infrastructures de transport-stockage s’intègrent sur sites existants ou à venir, avec des trajectoires de coûts dépendantes des effets d’échelle et de la disponibilité de réservoirs. L’intégration de la CCUS peut influer sur l’accès au financement et sur la bancabilité des contrats long terme dans des juridictions exigeantes.
Les gaz à faibles émissions — biomethane, low-emissions hydrogen et e-methane — accélèrent mais conservent une taille relative limitée d’ici 2030. Leurs volumes ne supplantent pas le rôle volumétrique du GNL dans l’équilibrage interrégional. La centralité du GNL demeure dans la triade sécurité-coût-flexibilité, avec une importance accrue des stratégies logistiques et des outils de couverture. Les paramètres de risque incluent les calendriers industriels, les tensions géopolitiques et la trajectoire des prix, ainsi que la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée.