L’Union européenne fait face à un écart de financement critique pour renforcer ses capacités d’interconnexion électrique transfrontalière. Selon les estimations du groupe de réflexion Ember, près de 55 gigawatts (GW) de connexions “optimales” manquent encore dans la planification actuelle, alors que l’objectif fixé est d’atteindre un niveau d’interconnexion équivalent à 15 % de la capacité installée d’ici 2030.
Des financements européens jugés insuffisants
L’actuel mécanisme de soutien CEF-E (Connecting Europe Facility – Energy), doté de 17 Md€ pour la période 2028-2034, ne permettrait pas de couvrir les besoins associés au scénario recommandé par Ember. Le manque de financement s’élève ainsi à 30 Md€, selon les projections du think tank. Ce déficit s’ajoute à un sous-investissement plus large estimé à 250 Md€ pour l’ensemble des réseaux de transport européens d’ici 2029.
Le retard affecte particulièrement certaines régions périphériques telles que la péninsule Ibérique, qui dispose actuellement d’un taux d’interconnexion de seulement 3 %, ou encore l’Europe centrale et orientale, qui reste exposée à une fragilité structurelle des flux. Le blackout survenu le 28 avril 2025 entre l’Espagne et la France a illustré les conséquences potentielles de ces insuffisances.
Un enjeu de sécurité et de stabilité des réseaux
Le manque de corridors électriques accentue les disparités de prix entre les régions, freine l’intégration des sources renouvelables et aggrave les risques de congestion. Les gestionnaires de réseaux de transport (Transmission System Operators – TSO) préviennent que les capacités d’interconnexion jouent un rôle déterminant pour limiter les effets d’effacements et les hausses de coûts des contrats d’achat d’électricité (Power Purchase Agreements – PPA).
La synchronisation des pays baltes avec le réseau continental européen, réalisée début 2025, a mis en lumière la dimension géopolitique des interconnexions, notamment en lien avec la réduction de la dépendance aux infrastructures russes. Plusieurs États membres de l’Est investissent désormais dans la sécurisation physique des installations critiques, intégrant les interconnexions dans leur politique de défense.
Des obstacles politiques et réglementaires persistants
Les projets transfrontaliers demeurent freinés par des divergences sur la répartition des coûts, des procédures de permis complexes et un manque d’incitations réglementaires. Les instruments européens existants, tels que les listes de projets d’intérêt commun (Projects of Common Interest – PCI), ne couvrent qu’une partie des besoins. Les régulateurs appliquent souvent une logique ex-post, peu compatible avec l’anticipation requise pour adapter les réseaux à la montée des renouvelables.
Les opérateurs de réseaux peinent à mobiliser les capitaux nécessaires sans soutien renforcé. Les investisseurs institutionnels s’intéressent à ces actifs régulés, mais restent contraints par l’instabilité réglementaire et les lenteurs administratives. L’absence de décision finale d’investissement freine la mise en œuvre effective des interconnexions identifiées comme prioritaires.
Des disparités régionales accentuées
Les pays nordiques, riches en énergie hydraulique et en éolien offshore, dépendent de corridors à haute tension vers l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni pour écouler leur production. En Europe centrale, la Pologne fait face à un besoin urgent de renforcement des flux avec ses voisins pour sécuriser sa transition énergétique. L’Italie, la Grèce et l’Espagne cherchent à se connecter plus efficacement aux Balkans et à l’Afrique du Nord.
Dans ce contexte, les appels à un plan européen ambitieux pour les réseaux se multiplient. Plusieurs États membres demandent une hausse des subventions et un cadre réglementaire plus favorable aux investissements anticipés, citant la sécurité d’approvisionnement comme justification stratégique.