Le TurkStream 2 pourrait représenter un tournant majeur dans la distribution des flux gaziers dans le Sud-Est de l’Europe. Traversant la Bulgarie et la Serbie, ce gazoduc constituera une nouvelle route alternative à l’Ukraine pour le gaz russe. Ainsi, comme pour le Nord Stream 2, le projet risque d’accroitre la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie. C’est pourquoi le Congrès américain a lancé une série de sanctions visant à stopper définitivement la construction du gazoduc.
TurkStream 2 : un projet datant de 2015
Le TurkStream 2 devient un enjeu majeur en Europe à l’heure ou l’attention médiatique se porte sur le gazoduc Nord Stream 2. Ce projet date de 2015 et consiste à étendre le TurkStream 1 de la Turquie vers les marchés européens. Il vise à desservir le Sud-Est de l’Europe en gaz venant de Russie en traversant les territoires bulgares et serbes.
Le TurkStream 1 relie la Russie à la Turquie en passant sous la mer Noire pour atteindre l’Ouest d’Istanbul. Inauguré au début d’année 2020, ce gazoduc fournit environ 15,5 milliards de mètres cubes (bcm) de gaz à la Turquie. Il possède néanmoins une capacité totale de 31,5 bcm afin de pouvoir approvisionner à terme les marchés européens.
Une inauguration pour 2022 ?
Cette capacité non utilisée indique clairement que la Russie comptait bien utiliser le gazoduc pour vendre son gaz en Europe. En cela, le projet ne fait que poursuivre la stratégie initiée par le Kremlin lors de l’annonce du South Stream. Celui-ci ayant été avorté, Moscou compte sur l’extension du Turkstream afin de contourner la route ukrainienne.
Aujourd’hui, ce gazoduc est en très bonne voie d’être complété avec l’inauguration au début du mois du tronçon serbe. Côté bulgare, les travaux avancent plus lentement en raison des fortes pressions américaines de ces dernières semaines. Bien qu’aucune date n’ait été encore déterminée, de nombreux experts estiment à 2022 la date d’inauguration du projet.
Un risque de dépendance au gaz russe
Une fois complété, le TurkStream2 pourrait accroître sérieusement la dépendance des pays du Sud-Est de l’Europe au gaz russe. À l’heure actuelle, la région dépend déjà à 40% de la Russie pour sa consommation. Et encore ce chiffre ne prend pas en compte les différences entre pays. La Bulgarie dépend ainsi à 97% du gaz russe, la Grèce à 70% et la Roumanie à 15%.
Cette dépendance va d’autant plus s’accroitre que le gaz remplace progressivement le charbon dans le mix énergétique. De fait, l’extension du TurkStream pourrait constituer le cœur de l’approvisionnement en électricité de la région. Il faut rappeler que ce gazoduc pourra fournir directement 6 pays d’Europe du Sud-Est par le biais d’interconnexions des réseaux. Ces 6 pays sont la Bulgarie, la Serbie, la Roumanie, la Grèce, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine du Nord.
Une redistribution des flux gaziers dans la région
Grâce à ce projet d’extension, la Russie pourra redistribuer à son avantage les flux gaziers dans la région. Aujourd’hui, ces flux passent principalement par le gazoduc Trans-balkanique (TBP) qui dépend du transit ukrainien pour acheminer le gaz russe. Autrement dit, la Russie et les pays du Sud-Est de l’Europe se retrouvent très vulnérables à la situation politique ukrainienne.
À l’inverse, avec le nouveau gazoduc, Moscou contourne l’obstacle ukrainien bien qu’elle doit compter sur la Turquie pour le transit. De fait, ce gazoduc vise à remplacer totalement le TBP dans les prochaines années et ainsi réduire le risque d’approvisionnement. Comme pour le Nord Stream 2, l’objectif de Moscou consiste à se passer totalement de la route ukrainienne d’ici 2025.
Un autre gazoduc sanctionné par les États-Unis
Bien qu’étant très avancé, le TurkStream2 se heurte à l’opposition de plus en plus vigoureuse des Etats-Unis. Ces derniers s’opposent au projet au nom de la sécurité énergétique de l’Europe face à la Russie. Surtout, ils s’inquiètent de la concurrence du gaz russe plus compétitif sur les exportations de GNL dans la région.
Rappelons que Washington soutient financièrement l’Initiative des 3 mers visant à connecter la Baltique à la Méditerranée. Cette initiative prévoit la construction de terminaux GNL en Grèce et en Croatie afin de fournir en gaz la région. Washington compte ainsi utiliser ses terminaux puis de les relier au TBP concurrençant ainsi le gaz russe. Or, l’extension du TurkStream met en cause la viabilité à-terme d’un tel projet.
Des sanctions, comme pour le Nord Stream 2
Dans ce contexte, les Etats-Unis ont lancé une série de sanctions visant à stopper définitivement la construction du gazoduc. Comme le Nord Stream 2, ces sanctions s’appuient sur l’article 232 du CAATSA voté par le Congrès en décembre dernier. Avec ces sanctions, Washington menace de punir financièrement toutes les compagnies présentes sur ce projet.
Elles font d’ailleurs suite à une intense campagne diplomatique menée par l’ancien secrétaire d’Etat Mike Pompéo. Celui-ci s’est rendu plusieurs fois dans la région qualifiant le projet « d’outil géopolitique pour la Russie ». Des pressions ont également été faites à la Turquie afin de stopper la construction du tronçon avec la Bulgarie.
Conséquences : le TurkStream 2 prend du retard
Ces actions diplomatiques et ces sanctions semblent avoir payé dernièrement avec le retrait du principal assureur du projet. Comme pour le Nord Stream 2, le TurkStream 2 se voit retarder par les sanctions américaines.
Pour Washington, ce gazoduc représente une menace quant à la sécurité du continent européen et de l’Ukraine en particulier. Privée de frais de transit, Kiev pourrait en effet se retrouver considérablement affaiblie par la mise en service du gazoduc. Dans ces conditions, on peut regretter l’absence complète de l’Europe dans ce débat pourtant si essentiel à sa sécurité.