La chaîne d’approvisionnement solaire des États-Unis traverse une phase critique, sous l’effet combiné de nouveaux tarifs anti-dumping et contrevailing duties (AD/CVD) sur les cellules et modules en provenance d’Asie du Sud-Est et du durcissement des restrictions visant les entités étrangères de préoccupation (Foreign Entity of Concern, FEOC). Les taux de droits atteignent 41.08% pour la Malaisie et montent jusqu’à 660.04% pour le Cambodge, ce qui bouleverse le secteur et fait grimper les coûts pour les industriels locaux.
La diversification échoue à réduire la dépendance chinoise
Selon Wood Mackenzie, ces mesures ne suffisent pas à réduire l’influence de la Chine sur la filière solaire américaine. Bien que les fabricants cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement, la majorité des composants essentiels provient toujours d’usines appartenant à des groupes chinois, même lorsqu’ils sont localisés en Malaisie ou au Vietnam. « Le remaniement de la chaîne d’approvisionnement du secteur solaire révèle un paradoxe fondamental », explique Elissa Pierce, analyste chez Wood Mackenzie. Elle précise que malgré les milliards investis dans les tarifs et la diversification, les sociétés chinoises contrôlent toujours la production via leurs filiales régionales.
La nouvelle enquête Section 232, lancée en juillet sur les importations de polysilicium, représente un autre défi majeur pour l’industrie américaine. La Chine détient 95% de la capacité mondiale de production de polysilicium destiné au secteur solaire, alors que les alternatives en Allemagne, Malaisie ou Corée du Sud restent limitées. Depuis la fermeture du site de REC Silicon à Moses Lake début 2025, les États-Unis n’ont plus de capacité de production locale dédiée.
Hausse des prix et repositionnement géographique
Les tarifs AD/CVD sur les modules de Cambodge, Malaisie, Thaïlande et Vietnam ont déjà entraîné une hausse de 12% des prix des modules d’Asie du Sud-Est en un an, selon Wood Mackenzie. Les industriels américains réorientent désormais leur approvisionnement vers l’Indonésie et le Laos, où la part de marché cumulée des modules importés a bondi de 2% à 35% entre le premier trimestre 2024 et le premier trimestre 2025. Cette diversification rapide a conduit un groupe de fabricants américains à déposer une nouvelle requête AD/CVD visant également l’Inde, l’Indonésie et le Laos, rendant probable une extension prochaine des tarifs à ces pays.
Le maintien d’une production nationale est rendu plus difficile par la législation américaine, notamment l’One Big Beautiful Bill Act, qui pourrait affecter jusqu’à 23 GW de capacité existante en imposant une restructuration de l’actionnariat ou la fermeture des usines concernées. La disponibilité du crédit d’impôt à la production 45X reste décisive, car son absence pourrait éliminer toute marge bénéficiaire pour les industriels américains si les prix ne sont pas relevés.
L’inventaire diminue et l’Afrique du Nord attendue en 2026
Les importations record réalisées en 2023 et 2024 ont permis de constituer des stocks couvrant la demande jusqu’à la fin de 2025. Toutefois, selon Wood Mackenzie, ces stocks diminuent rapidement, les importations mensuelles ayant chuté de 5.3 GW à 2.4 GW depuis la fin 2024. Les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord offrent de nouvelles alternatives, avec des tarifs de réciprocité de 10%, bien inférieurs à ceux appliqués à l’Indonésie, à l’Inde ou au Laos. Toutefois, l’essentiel des capacités de production de cette zone reste sous contrôle chinois, et leur mise en service n’est pas attendue avant 2026.
« La nouvelle enquête Section 232 sur le polysilicium représente la plus grande vulnérabilité d’approvisionnement de l’industrie », conclut Elissa Pierce de Wood Mackenzie. Selon elle, une restriction supplémentaire sur ce composant stratégique pourrait rapidement paralyser le marché américain du solaire.