Des dizaines de panneaux solaires alignés sur le lac de Tunis: la Tunisie tente, comme tout le Maghreb, de rattraper son retard dans l’exploitation de cette ressource abondante dans la région.
Face à un développement poussif des énergies renouvelables, la flambée des prix des hydrocarbures qui a suivi l’invasion russe de l’Ukraine a provoqué une prise de conscience, selon les experts.
“La pression extrême sur le gaz naturel, en particulier en Europe, a changé la logique pour ce type d’investissements”, souligne auprès de l’AFP le professeur Michael Tanchum, un expert en énergie.
Or, “l’Algérie, la Tunisie et le Maroc disposent d’abondantes ressources en énergies solaire et éolienne”, rappelle-t-il.
Omar Bey, un dirigeant de Qair, un producteur d’énergie renouvelable fondé en France, espère que son prototype de centrale flottante de 200 KW, la première de la zone Moyen-Orient et Afrique du nord, stimulera des projets plus ambitieux.
La Tunisie, aux ressources en hydrocarbures très limitées, “n’a pas d’autre choix que miser sur les renouvelables”, souligne-t-il.
L’avantage d’une centrale flottante est de permettre un refroidissement naturel des panneaux, qui les rend plus efficaces, tout en réduisant l’évaporation et cela, sans accaparer de terres cultivables ou constructibles, explique-t-il.
Ensoleillée des milliers d’heures par an, la Tunisie a le potentiel de produire pour ses propres besoins et d’exporter vers l’Europe située à quelques centaines de kilomètres.
Mais aujourd’hui, seule 2,8% de son électricité sont tirées des renouvelables, contre un objectif de 35% d’ici à 2030.
Paralysie politique
Le professeur Tanchum, chercheur non-résident au Middle East Institute, explique ce retard par une “paralysie politique”, avec une dizaine de gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution qui a renversé le dictateur Ben Ali en 2011. Le pays est en outre très endetté ce qui mine le financement de grands programmes.
Sans compter les obstacles juridiques et administratifs : les panneaux importés “restent parfois bloqués pendant un mois, un mois et demi à la douane.
Il faut des lois plus flexibles, tout le processus doit être accéléré”, plaide Ali Kanzari, président de l’Union des entreprises solaires. M. Bey évoque pour sa part des “malentendus” avec des syndicalistes qui, redoutant une privatisation du groupe public Steg, ont retardé le raccordement de centrales photovoltaïques.
Une centrale de 10 MW, construite il y a plus de deux ans à Tataouine (sud) pour alimenter 10.000 foyers, a ainsi été mise en route en octobre seulement.
“Aujourd’hui, tous ces problèmes sont derrière nous”, assure M. Bey. Pour l’heure, toutefois, “seul le Maroc a émergé comme un leader” dans la région, pointe M. Tanchum.
Le Royaume qui a décidé en 2009 d’investir massivement dans les renouvelables pour les hisser à 52% de son mix énergétique d’ici à 2030, produit déjà un cinquième de son électricité à partir de cette ressource.
Au total, 111 projets sont “terminés ou en cours de développement”, selon le ministère de l’Energie.
L’un des programmes phare est “X-links” combinant solaire et éolien, capable de générer plus de 10 gigawatts et de les expédier en Grande-Bretagne grâce à 3.800 kilomètres de câbles sous-marins, pour y alimenter 7 millions de foyers en 2030.
La Tunisie s’est lancée dans un projet plus modeste : en octobre, elle a déposé une demande d’aide européenne pour un câble de 200 kilomètres la reliant à l’Italie, un projet de 800 millions d’euros, à horizon 2027.
“Si le câble était déjà en place, avec 4 ou 5 gigawatts provenant de centrales solaires dans le désert, on vendrait de l’électricité à l’Europe et on engrangerait déjà d’importants revenus”, regrette M. Kanzari.
L’Algérie voisine, consciente d’un possible épuisement de ses ressources, s’est fixée, elle aussi, l’ambitieux objectif d’installer 15.000 MW d’énergie solaire d’ici à 2035, dont un méga-projet de 1 GW (Solar 1000) qui entrera en service fin 2023 ou début 2024.
Pour le moment, le pays n’en est qu’aux balbutiements avec 3% de son électricité provenant du solaire.
Malgré des assouplissements législatifs, “des obstacles persistent pour les investissements étrangers, dont la fameuse bureaucratie algérienne”, souligne Intissar Fakir, analyste au Middle East Institute.
En outre, note-t-elle, même si les exportations de gaz génèrent des milliards de dollars, Alger va devoir les “injecter dans la modernisation d’infrastructures vieillissantes dans les hydrocarbures plutôt que dans les renouvelables”.