L’opérateur italien Snam a obtenu la reconduction de deux projets clés dans la nouvelle liste 2025 des projets d’intérêt commun et d’intérêt mutuel de l’Union européenne, garantissant des procédures accélérées et un accès prioritaire aux financements publics. Le corridor SoutH2, destiné à transporter de l’hydrogène produit en Afrique du Nord vers l’Europe centrale, et le réseau CO₂ Callisto, centré autour du hub de stockage de Ravenna, deviennent des axes structurants dans la nouvelle architecture énergétique européenne.
Une nouvelle ère réglementaire pour les infrastructures multi-molécules
Le règlement révisé sur les réseaux transeuropéens d’énergie (TEN-E) inclut désormais les infrastructures de transport d’hydrogène et de CO₂ au même titre que les réseaux traditionnels. Cette évolution permet aux deux projets portés par Snam d’accéder au Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE), à la répartition transfrontalière des coûts et à des procédures administratives simplifiées. La reconduction en 2025, après une première inclusion en 2023, indique une continuité stratégique de Bruxelles dans le soutien à ces infrastructures.
Le corridor est intégré dans le programme Global Gateway, qui vise à structurer des partenariats énergétiques géopolitiques durables avec l’Afrique du Nord. L’Algérie et la Tunisie sont identifiées comme fournisseurs potentiels d’hydrogène renouvelable, bien que leurs capacités exportables restent limitées à court terme. Les objectifs européens tablent sur 10 Mt/an d’importations d’ici 2030, dont 4 Mt pourraient transiter par le SoutH2.
Architecture des projets et rôle des partenaires industriels
Snam s’appuie sur une alliance d’opérateurs européens pour le SoutH2, notamment TAG et Gas Connect Austria en Autriche, et bayernets en Allemagne. Le corridor reposera à près de 70 % sur la conversion de gazoducs existants, complétés par des tronçons dédiés à l’hydrogène. Le hub Ravenna–Callisto, co-développé avec Eni, exploitera d’anciens gisements en mer Adriatique pour stocker jusqu’à 16 Mt/an de CO₂ à terme.
La première phase du hub débutera à environ 25 kt/an, avec un objectif de 4 Mt/an autour de 2030. Une extension est envisagée via des interconnexions méditerranéennes vers la France. Snam envisage de transférer sa participation dans Ravenna à l’entité dédiée d’Eni, devenant ainsi un opérateur d’infrastructures CO₂ plutôt qu’un développeur autonome.
Risques liés aux capacités réelles et aux délais de montée en charge
Les capacités prévues en Algérie et en Tunisie ne dépasseront pas 330 kt/an d’ici 2030, représentant seulement 8 % du potentiel du pipeline SoutH2. Cette asymétrie soulève des inquiétudes quant à une sous-utilisation prolongée du corridor, avec des coûts unitaires de transport plus élevés. La viabilité du modèle économique dépendra du soutien public, notamment via des contrats pour différence (CfD) et des garanties de demande industrielle.
Sur le plan réglementaire, la tarification des infrastructures hydrogène et les obligations de monitoring pour le CO₂ restent en phase d’élaboration, créant une incertitude sur les revenus futurs. Pour Snam, cela implique une exposition prolongée à des risques politiques et juridiques, notamment en cas de contentieux liés au CCS.
Position stratégique de l’Italie et dynamique géopolitique
L’Italie cherche à capitaliser sur sa position géographique pour devenir un hub énergétique entre l’Afrique du Nord et l’Europe centrale. SoutH2 s’inscrit dans cette stratégie, en complément des corridors H2Med et nordiques. L’Allemagne et l’Autriche, quant à elles, multiplient les routes d’approvisionnement pour éviter toute dépendance unique, mais avec un risque accru de surcapacité si la demande industrielle n’évolue pas comme prévu.
Le soutien explicite de l’Union européenne à ce corridor renforce l’axe stratégique avec le Maghreb, tout en posant la question d’une nouvelle forme de dépendance énergétique. L’absence de sanctions structurelles sur les partenaires sud-méditerranéens n’élimine pas les risques politiques, particulièrement dans un contexte de forte pression sur la sécurité énergétique européenne.
Conséquences pour le profil économique de Snam
Avec un plan d’investissement de 12,4 Md€, dont 1,5 Md€ alloués aux infrastructures bas carbone et 500 M€ au CCS, Snam réoriente clairement son modèle d’affaires vers les infrastructures multi-molécules. Le classement des projets en tant que PCI/PMI améliore leur bancabilité et soutient la notation de crédit de l’entreprise, bien que la dépendance à quelques mégaprojets puisse limiter sa flexibilité stratégique.
La gouvernance des projets exige une coordination étroite entre opérateurs de transport, États membres et industriels utilisateurs, complexifiant les arbitrages financiers et opérationnels. L’accueil réservé par les investisseurs dépendra de la capacité de Snam à garantir des flux contractuels et à maintenir un profil de risque maîtrisé sur un marché encore en construction.