Siemens Energy a annoncé un plan d’investissement de 2 Mds€ ($2.17bn) à horizon 2028 pour renforcer son réseau mondial d’usines de transformateurs et d’appareillages haute tension. Cette décision intervient dans un contexte de pression croissante sur les capacités de production dans le secteur des équipements de réseau, et marque un tournant stratégique du groupe après la crise rencontrée par sa filiale éolienne Siemens Gamesa.
Concentration des investissements sur Grid Technologies
L’effort porte principalement sur la division Grid Technologies, aujourd’hui principal moteur de croissance de Siemens Energy, avec une marge visée de 14–16 % d’ici 2028 et un carnet de commandes atteignant 138 Mds€. Ces 2 Mds€ viennent s’ajouter aux 220 M€ déjà engagés pour le site de Nuremberg et à l’extension du site de Charlotte, en Caroline du Nord, qui doit produire des transformateurs de grande capacité à partir de 2027.
Cette montée en puissance industrielle vise à répondre à une demande mondiale en forte hausse, alors que les délais de livraison des gros transformateurs peuvent dépasser quatre ans. Le marché reste dominé par un nombre restreint d’acteurs tels que Siemens Energy, Hitachi Energy, GE Vernova et plusieurs groupes chinois, dans un contexte où les réseaux électriques nécessitent des investissements massifs, tant en Europe qu’aux États-Unis.
Un secteur sous tension stratégique et politique
Les équipements visés par l’investissement – transformateurs, convertisseurs HVDC (courant continu haute tension), systèmes de régulation FACTS – font désormais l’objet d’un encadrement politique renforcé. L’Union européenne et les États-Unis ont placé ces matériels sous contrôle à l’export, notamment via le code douanier 8504, afin de limiter les risques de détournement vers des utilisations militaires en Russie et dans ses États alliés.
Dans le passé, Siemens Energy a été indirectement impliqué dans plusieurs dossiers sensibles, dont l’affaire des turbines livrées en Crimée, aujourd’hui objet de poursuites judiciaires en Allemagne. Plus récemment, certains équipements Siemens ont été repérés dans des usines russes via des circuits commerciaux tiers, entraînant une attention accrue des régulateurs sur les chaînes d’approvisionnement.
Visibilité financière et relocalisation industrielle
Malgré le poids de ce programme industriel, Siemens Energy prévoit de redistribuer jusqu’à 10 Mds€ ($10.85bn) à ses actionnaires d’ici 2028, sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Cette double stratégie s’appuie sur la capacité du groupe à convertir rapidement son carnet de commandes en flux de trésorerie, notamment dans les projets HVDC et interconnexions.
La montée en cadence du site de Charlotte, combinée à l’expansion en Europe, permet au groupe de répondre aux exigences croissantes de contenu local dans les appels d’offres, en lien avec les politiques industrielles du Green Deal européen et de l’Inflation Reduction Act américain. Aux États-Unis, plus de 80 % des transformateurs sont actuellement importés, et les projections de dépenses réseau dépassent 2 000 Mds$ d’ici 2050.
Répercussions sur le marché et concurrence
Pour les opérateurs de réseaux, l’initiative de Siemens Energy devrait permettre de contenir l’inflation des coûts dans un secteur marqué par la pénurie et la volatilité des matières premières comme le cuivre et l’aluminium. Toutefois, les 2 Mds€ annoncés resteront insuffisants pour résorber entièrement les tensions sur le marché des transformateurs haute tension.
Face à cette offensive, les concurrents directs tels que GE Vernova et Hitachi Energy seront incités à accélérer leurs propres investissements. Ce mouvement pourrait entraîner une vague de relocalisations industrielles soutenues par les États, avec à la clé un renforcement de la base manufacturière occidentale dans un secteur stratégique.