Le projet de la centrale hydraulique Krapivinskaya est un vestige de l’ère soviétique, conçu à l’origine pour réguler le débit de la rivière Tom et améliorer la qualité de l’eau dans la région de Kemerovo, riche en charbon. Abandonnée en 1989 en raison de contraintes financières et de préoccupations environnementales, la centrale demeure inachevée, une structure massive de béton et de fer qui domine encore le paysage. Aujourd’hui, le gouvernement russe et des entreprises comme le géant de l’aluminium Rusal et son groupe parent En+ veulent relancer le projet. Ces entreprises cherchent à diversifier leurs sources d’énergie et à réduire leur empreinte carbone en utilisant l’hydroélectricité pour alimenter leurs opérations. Selon les experts et les activistes, la centrale hydraulique Krapivinskaya pourrait jouer un rôle clé dans la stratégie énergétique de la région, mais elle pose également des défis environnementaux importants.
Technologie et défis environnementaux
La technologie hydroélectrique est souvent considérée comme une source d’énergie propre et renouvelable. Cependant, la construction de la centrale hydraulique Krapivinskaya présente des défis environnementaux majeurs. L’inondation des zones environnantes nécessaire à la création du réservoir libérera du méthane, un puissant gaz à effet de serre, en raison de la décomposition de la matière organique submergée. Evgeny Simonov, écologiste, souligne que cette inondation affectera également deux réserves naturelles, six cimetières et deux sites d’enfouissement du bétail, forçant près de 1 000 personnes à se reloger. La qualité de l’eau pourrait être compromise par les rejets des mines de charbon et des eaux usées de la ville de Novokouznetsk, exacerbant les problèmes de pollution déjà présents dans la région. De plus, la construction de la centrale pourrait perturber les routes migratoires des poissons tels que le taimen et l’ombre, ainsi que détruire les habitats de nombreuses espèces aquatiques. Les mesures de compensation proposées, telles que le repeuplement des poissons, sont jugées inadéquates par les experts, qui craignent que les impacts environnementaux négatifs ne soient pas correctement atténués.
Pressions locales et politiques
Les débats autour du projet Krapivinskaya ne se limitent pas aux questions environnementales. Les auditions publiques sur le projet ont été entachées par des incidents de répression et d’intimidation envers les opposants. Des résidents ont été empêchés d’assister aux réunions publiques, et certains activistes, comme l’avocat Maxim Andrianov, ont subi des menaces et des perquisitions policières. Andrianov a également reçu des menaces de la part d’individus non identifiés et a eu un pneu de sa voiture crevé, incidents que certains attribuent à son opposition au projet Krapivinskaya. Le gouverneur de la région de Kemerovo, Sergei Tsivilyov, soutient fermement le projet, malgré les contestations. Connu pour son intransigeance face aux protestations, Tsivilyov considère Krapivinskaya comme une opportunité pour améliorer la qualité de l’eau, créer des réserves stratégiques d’eau douce et générer 3 300 emplois. Lors d’une réunion publique en 2020, il a déclaré :
« Je vais écraser quiconque essaie d’attaquer les autorités. Avec les autorités, il faut s’asseoir à la table et trouver la solution optimale ensemble. »
Perspectives économiques et alternatives
Rusal et En+ ont annoncé un investissement de 500 milliards de roubles (5,4 milliards de dollars) dans plusieurs grandes centrales hydrauliques en Sibérie, avec Krapivinskaya en tête de liste. Cet investissement s’inscrit dans une stratégie plus large de réduction des émissions de carbone et de conformité aux futures réglementations de l’Union européenne sur les produits importés. La production d’aluminium à faible empreinte carbone pourrait donner un avantage concurrentiel à Rusal sur les marchés internationaux, notamment en Europe, où les importateurs devront payer un prix du carbone à partir de 2026. Cependant, les sanctions occidentales imposées à la Russie compliquent la situation. Les exportations de Rusal devraient chuter d’un tiers après les sanctions américaines et britanniques sur l’aluminium russe, ce qui remet en question la viabilité économique de tels projets. Le marché chinois, bien que prometteur, ne compensera pas entièrement la perte des marchés occidentaux. Certains experts craignent que, sans accès aux marchés occidentaux, les entreprises russes ne soient plus incitées à investir dans des projets à faible émission de carbone comme Krapivinskaya.
Impact local et global
Malgré les promesses d’avantages économiques et écologiques, les critiques estiment que le projet Krapivinskaya risque de causer plus de tort que de bien. Les mesures de compensation environnementale proposées, comme le repeuplement des poissons, sont jugées inadéquates par les experts. La destruction de vastes zones naturelles et la perturbation des écosystèmes locaux pourraient avoir des conséquences durables.
Evgeny Simonov reste optimiste quant à la possibilité de transformer le site en une installation récréative, profitant de la beauté naturelle de la région et évitant les impacts négatifs de la construction de la centrale. Pour lui, le projet pourrait être abandonné en faveur de solutions plus durables et respectueuses de l’environnement.