L’annonce d’Alexander Novak, vice-Premier ministre russe, concernant le transit du gaz via l’Ukraine révèle plusieurs enjeux stratégiques pour la Russie, l’Ukraine et l’Union Européenne (UE). À la fin de l’année 2024, l’accord actuel sur le transit de gaz entre la Russie et l’Ukraine arrive à expiration. Alors que la Russie se montre ouverte à la poursuite des approvisionnements, l’Ukraine a affirmé à plusieurs reprises qu’elle ne renouvellera pas cet accord. Cette situation place l’UE dans une position délicate, alors que certains pays européens continuent de dépendre des flux de gaz russes pour leur consommation énergétique.
Malgré la réduction drastique des importations de gaz russe par l’UE depuis le début de la guerre en Ukraine, des pays comme la Slovaquie, l’Autriche et la Hongrie dépendent encore de ces approvisionnements. La Slovaquie, en particulier, se trouve dans une position vulnérable car elle n’a pas d’alternatives solides. Elle pourrait tenter de mettre en place un flux inverse depuis l’Autriche ou d’importer via des terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) en Allemagne, mais cela entraînerait des coûts supplémentaires.
Impact Économique pour l’Ukraine
Pour l’Ukraine, la fin du transit gazier pourrait avoir des conséquences économiques significatives. Actuellement, Kyiv génère environ 714 millions d’euros de revenus annuels grâce au transit du gaz russe, ce qui est en dessous des 1,25 milliard d’euros prévus initialement. Cependant, le maintien de cette infrastructure est coûteux. Le réseau de pipelines ukrainien, conçu pour transporter de grandes quantités de gaz, nécessite des coûts de maintenance élevés, estimés à environ 892 millions d’euros par an, pour rester opérationnel. Si le transit russe s’arrête, l’Ukraine devra trouver des moyens alternatifs pour financer ces coûts, tout en s’assurant que les gazoducs continuent de répondre aux besoins domestiques.
Répercussions pour la Russie et l’UE
La Russie pourrait subir une perte de 7 à 8 milliards de dollars de revenus annuels, ce qui représenterait environ 15% du chiffre d’affaires total de Gazprom. Ces pertes ne pourraient être compensées par des marchés alternatifs avant plusieurs années. La construction du pipeline « Power of Siberia 2 » vers la Chine n’est pas prévue avant 2030, et un projet de terminal GNL sur la mer Baltique n’entrerait en service qu’en 2026-2027. De plus, la fin de ce transit pourrait déclencher des réclamations de dommages de la part des clients européens, dont certains contrats se prolongent jusqu’en 2040.
Pour l’UE, la perte des 15 milliards de mètres cubes de gaz transportés via l’Ukraine chaque année constituerait un choc pour certains pays d’Europe centrale et orientale. Même si la dépendance globale de l’UE au gaz russe a été réduite, la part de la Russie dans les importations totales de gaz reste significative, représentant environ 15% au deuxième trimestre 2024, juste derrière les 19% des États-Unis. Les pays comme la Hongrie et la Slovaquie, qui n’ont pas accès à la mer pour importer du GNL, seraient contraints de trouver d’autres sources à un coût beaucoup plus élevé.
Stratégies et Perspectives
Pour tenter de contourner le blocage potentiel, une des options explorées est que les entreprises européennes signent directement des contrats de transport avec l’Ukraine, plutôt que de passer par des contrats bilatéraux avec Gazprom. Cela permettrait à l’Ukraine de continuer à percevoir des redevances de transit tout en s’alignant sur les besoins européens. Toutefois, toute coupure définitive du flux de gaz à travers l’Ukraine augmenterait significativement les coûts pour les pays de l’UE qui utilisent déjà des mécanismes de « reverse flow » pour importer le gaz à moindre coût.
La situation reste complexe et évolutive. Une rupture définitive du transit via l’Ukraine mettrait à mal non seulement les revenus gaziers russes, mais aussi la sécurité énergétique de plusieurs pays européens. La Russie pourrait se tourner davantage vers l’Asie, mais ces marchés ne compenseront pas les pertes européennes dans un futur proche. De son côté, l’Ukraine pourrait tirer avantage d’un système de transit réorganisé, mais cela nécessiterait des investissements importants pour adapter ses infrastructures. Pour l’Europe, la recherche de solutions de rechange reste limitée par des contraintes géographiques et des coûts logistiques élevés.
La décision finale dépendra des négociations entre l’UE, l’Ukraine et la Russie, alors que des discussions ont déjà été initiées pour explorer des options via d’autres routes, notamment à travers la Turquie et l’Azerbaïdjan.