Le Royaume-Uni a lancé un second round de licences de stockage géologique de dioxyde de carbone (CO₂) en mer du Nord, couvrant 14 zones réparties au large des côtes écossaises et anglaises. Cette extension porte la capacité totale potentielle de stockage à environ 2 Gt, après une première vague de 21 licences attribuées en 2023. L’autorité compétente, la North Sea Transition Authority (NSTA), a précisé que les candidatures seront ouvertes jusqu’en mars 2026, avec des attributions prévues début 2027.
Les acteurs établis dominent les perspectives de développement
Les principales entreprises énergétiques déjà engagées dans les clusters Track-1 — comme BP, Equinor ou Eni — sont pressenties pour s’imposer dans cette deuxième phase. Les sites Endurance et Liverpool Bay, au cœur des premiers contrats signés, sont appelés à devenir les pivots d’un corridor de stockage nord-sud. En parallèle, des acteurs comme EnQuest, Harbour Energy ou Shell renforcent leur présence en valorisant des champs pétroliers épuisés ou des infrastructures existantes.
La capacité offerte dépasse de loin les objectifs actuels du Royaume-Uni, qui visent entre 20 et 30 Mt de CO₂ capturés par an d’ici 2030. Les autorités reconnaissent que ces cibles ne seront pas atteintes à court terme, mais considèrent l’attribution anticipée de volumes comme un levier stratégique pour sécuriser la décarbonation à horizon 2050.
Un modèle économique dépendant d’un soutien public massif
L’économie du captage et stockage du carbone (CCS) reste déséquilibrée. Le prix du quota carbone dans le système britannique d’échange (UK ETS) stagne autour de 56 £/t, alors que le coût total du CCS est estimé entre 130 et 150 $/t. Pour combler cet écart, le gouvernement prévoit des subventions directes et des mécanismes contractuels régulés, dont des contrats pour différence (CfD) ou des modèles de rémunération type RAB (Regulated Asset Base).
La mise en œuvre opérationnelle dépendra aussi de la coordination entre la NSTA et The Crown Estate, qui doit octroyer des baux sur les fonds marins. Les conditions liées à la coexistence avec d’autres usages — notamment l’éolien offshore — restent un facteur limitant pour les développeurs.
Un positionnement stratégique vis-à-vis de l’Europe continentale
Londres ambitionne de faire de la mer du Nord britannique une plateforme d’exportation de services de stockage CO₂ pour les émetteurs européens. Cette stratégie entre en compétition avec les projets norvégiens (Northern Lights), danois (Greensand) et néerlandais (Porthos). Le Royaume-Uni dispose d’un avantage géologique avec des capacités estimées à plus de 78 Gt, mais devra composer avec les régulations européennes, notamment le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM).
Cette dynamique alimente également une logique politique intérieure. Le deuxième round de licences intervient après plusieurs critiques parlementaires sur la lenteur de mise en œuvre des projets Track-1. Il permet de démontrer une continuité d’action et de maintenir l’attention sur l’industrie offshore, en pleine mutation.
Effets attendus sur la chaîne de valeur et les industriels
Pour les entreprises de services offshore et d’ingénierie, cette extension offre un réservoir de contrats à long terme, bien que conditionnés à la structuration définitive des modèles économiques. Le secteur pétrolier en déclin trouve dans le CCS un relais d’activité, mobilisant les mêmes compétences et infrastructures.
Du côté des industriels, la sécurisation de volumes de stockage renforce la bancabilité des projets à long terme, en particulier pour les secteurs fortement émetteurs comme le ciment, l’acier ou la chimie. Les futurs contrats d’« offtake » de CO₂ pourraient s’étendre sur plus de 15 ans, réduisant les risques liés à la régulation ou à l’évolution des quotas.