L’affaire opposant Rosneft à Shell concernant la vente de la participation de cette dernière dans la raffinerie PCK Schwedt illustre les tensions croissantes dans le secteur énergétique européen, exacerbées par le contexte géopolitique actuel. Rosneft, qui détient 54,17 % de la raffinerie, a été privé de son contrôle en 2022 par le gouvernement allemand suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette décision a marqué un tournant dans les relations énergétiques entre l’Allemagne et la Russie, l’Allemagne ayant pris des mesures pour réduire sa dépendance vis-à-vis des énergies russes. La décision de Shell de vendre sa participation de 37,5 % dans la raffinerie à Prax Group, une entreprise britannique, a suscité une réaction immédiate de Rosneft, qui invoque un droit de préemption. Cependant, une évaluation préliminaire du tribunal régional supérieur de Düsseldorf, rendue publique cette semaine, semble défavorable à Rosneft.
Contexte et enjeux énergétiques
La raffinerie de Schwedt, qui répond à 90 % des besoins en carburant de Berlin et de sa région, est d’une importance stratégique pour l’Allemagne. Rosneft, qui détenait une position dominante dans cette raffinerie avant la guerre en Ukraine, se retrouve aujourd’hui dans une situation délicate. En 2022, face à la guerre et aux sanctions contre la Russie, l’Allemagne a pris la décision de placer les actifs de Rosneft sous tutelle pour assurer la continuité des approvisionnements en énergie.
Cette réorganisation des actifs énergétiques russes en Allemagne intervient dans un contexte de refonte plus large de la politique énergétique allemande. En effet, la dépendance historique de l’Allemagne à l’égard de l’énergie russe a poussé le pays à accélérer la transition vers des sources d’énergie alternatives. Cela inclut non seulement la diversification des approvisionnements en pétrole, mais aussi le renforcement des infrastructures locales pour garantir la sécurité énergétique.
Les enjeux juridiques et stratégiques de l’affaire
Rosneft conteste la vente en s’appuyant sur un accord des actionnaires qui lui accorderait la priorité d’achat en cas de cession des parts. Toutefois, la juge Anne Frister du tribunal de Düsseldorf a indiqué que les conditions de ce droit de préemption pourraient ne pas s’appliquer dans ce cas précis, ce qui affaiblit la position juridique de Rosneft. De son côté, Shell, en partenariat avec Prax Group, semble confiant dans la conclusion de cet accord, mais Rosneft a d’ores et déjà annoncé qu’elle ferait appel en cas de rejet de sa plainte.
Une décision aux conséquences géopolitiques
Au-delà de l’aspect purement juridique, cette affaire a des implications géopolitiques importantes. La guerre en Ukraine a transformé le paysage énergétique européen, avec une volonté affirmée des pays de l’Union européenne de se libérer de la dépendance aux énergies russes. L’Allemagne, en particulier, a dû réévaluer ses relations avec la Russie, entraînant la nationalisation temporaire de certains actifs, dont la participation de Rosneft dans Schwedt. Si la plainte de Rosneft est rejetée, cela pourrait accélérer la vente de ces actifs à des entreprises occidentales, renforçant ainsi la présence de ces dernières sur le marché énergétique allemand.
Les perspectives pour Prax Group et les inquiétudes de Rosneft
Rosneft soulève des inquiétudes concernant la capacité de Prax à gérer efficacement la raffinerie. Les avocats de la société affirment que Prax est lourdement endettée et manque d’expérience sur le marché allemand, ce qui pourrait nuire à la performance future de l’installation. Ces préoccupations économiques mettent en lumière les risques associés à la cession d’actifs stratégiques à des entreprises jugées moins robustes. Toutefois, le gouvernement allemand semble prêt à soutenir cette transition, dans le cadre de ses efforts pour diversifier les sources d’énergie et réduire la dépendance à l’égard du pétrole russe.
Conséquences pour le marché énergétique européen
La décision finale du tribunal aura un impact majeur non seulement pour Rosneft et Shell, mais également pour l’ensemble du secteur énergétique européen. Si Rosneft perd son recours, cela pourrait créer un précédent pour d’autres entreprises russes cherchant à conserver leurs actifs en Europe. À l’inverse, une victoire de Rosneft pourrait compliquer les futures transactions dans le secteur énergétique, notamment en ce qui concerne la gestion des actifs russes sous sanctions.
L’affaire Rosneft-Shell souligne la complexité des interactions entre les considérations juridiques, économiques et géopolitiques dans le secteur de l’énergie. La situation en Allemagne reflète un mouvement plus large de réorganisation des chaînes d’approvisionnement énergétiques à travers l’Europe, un processus qui sera suivi de près par les observateurs du marché.