Le gouvernement péruvien a nommé en procédure accélérée un nouveau président et trois administrateurs au conseil d’administration de Petroperu, en s’appuyant sur le décret d’urgence DU 004-2024 et la Loi 32103. Ces outils juridiques donnent au ministère de l’Économie, au ministère de l’Énergie et au Fondo Nacional de Financiamiento de la Actividad Empresarial del Estado (FONAFE, fonds national de financement des entreprises publiques) des leviers exceptionnels pour restructurer la gouvernance de la compagnie pétrolière nationale.
Gouvernance centralisée pour répondre à l’urgence financière
Cette intervention s’inscrit dans un contexte de crise aiguë de liquidité. Petroperu a enregistré plus de 800 M USD de pertes nettes en 2023, et l’entreprise anticipe encore 2,5 Md USD de besoins de financement supplémentaires pour 2025. L’État a accordé une garantie publique de 800 M USD pour un prêt court terme du Banco de la Nación, garanti par des actifs immobiliers, avec option de cession via PROINVERSIÓN en cas de défaut.
Les agences de notation (Fitch, S&P Global) ont successivement abaissé la note de Petroperu en catégorie spéculative, citant une structure de capital fragile, une rentabilité incertaine de la raffinerie de Talara et une dépendance croissante aux soutiens publics. Le décret d’urgence justifie explicitement l’intervention étatique par l’impossibilité pour la société d’accéder à des financements privés en l’état.
Relance du brut amazonien et montée en puissance de Talara
Petroperu tente de réactiver la production des lots 8 et 192 en Amazonie, afin de garantir un flux de brut local vers Talara, la raffinerie modernisée à hauteur de 6,5 Md USD. Pour le lot 192, cinq entreprises sont en négociations, dont PetroTal et Upland Oil & Gas, avec un objectif initial de 12 000 barils par jour pouvant monter à 21 000 barils par jour.
Ces projets se heurtent toutefois à un historique lourd de pollution et à une opposition communautaire persistante. Depuis 2011, plus de 560 violations environnementales ont été documentées dans les zones concernées. Le nouveau conseil d’administration doit composer avec ces tensions tout en assurant la montée en charge industrielle de Talara.
Contrôle accru, indépendance limitée du conseil
Les nominations de Luis Alberto Canales Gálvez (président), Elba Rosa Rojas Álvarez de Mares, Jesús Valentín Ramírez Gutiérrez et Óscar Gerardo Zapata Alcázar ont été effectuées sans appel public à candidatures. La Loi 32103 et DU 004-2024 permettent cette dérogation aux règles habituelles. L’assemblée générale doit ensuite statuer sur le caractère « indépendant » des administrateurs, mais cette validation postérieure affaiblit la perception d’autonomie du board.
Le précédent conseil avait entamé une restructuration avec le cabinet Arthur D. Little, mais son exécution a été ralentie par des changements politiques successifs. La recomposition actuelle est interprétée par plusieurs acteurs du marché comme une tentative d’installer un conseil « d’exécution », chargé d’appliquer rapidement les mesures prévues par l’État.
Enjeux géopolitiques et risques juridiques
Petroperu reste un acteur clé de la sécurité énergétique péruvienne, avec près de la moitié des parts de marché sur les carburants dans certaines régions. Une rupture logistique pourrait déclencher des tensions sociales et économiques. L’État cherche donc à éviter une défaillance de Petroperu tout en contenant son impact budgétaire.
Le profil juridique de la société reste complexe. Elle n’est pas formellement sanctionnée à l’international, mais son historique environnemental et son niveau de risque élevé la rendent vulnérable à des restrictions contractuelles imposées par les contreparties. Les banques et traders pourraient revoir leurs engagements, voire exiger des garanties renforcées ou des clauses de retrait anticipé.
Signal au marché et incertitudes sur l’avenir
La recomposition rapide du conseil permet de débloquer la ligne de crédit d’urgence et d’afficher une capacité de décision politique. Toutefois, pour les investisseurs institutionnels, le profil de Petroperu reste marqué par l’instabilité managériale, l’opacité sur l’indépendance réelle de sa gouvernance et un passif opérationnel lourd.
Le projet de relance Amazonie + Talara pourrait, à moyen terme, ouvrir la voie à une ouverture partielle du capital, envisagée mais non confirmée. Pour l’heure, l’approche reste pilotée par l’État, sans garantie d’un cadre stable et attractif pour les partenaires privés ou les marchés financiers.