Ayant connu cette année l’une de ses pires crises énergétiques dans le sillage de l’invasion russe de l’Ukraine, le Japon veut accélérer la relance du nucléaire dès cet hiver pour réduire son importante dépendance aux hydrocarbures importés. Mais les plans du gouvernement risquent de se heurter à une série d’obstacles. Au Japon, le secteur nucléaire est toujours convalescent et controversé depuis la catastrophe de Fukushima provoquée par un tsunami en 2011.
Quelle est la situation?
L’ensemble du parc nucléaire japonais avait été arrêté après Fukushima pour renforcer les normes de sécurité. Des réacteurs ont redémarré à partir de 2015. Au total, dix ont été reconnectés depuis, sur 33 théoriquement opérables. Pour l’instant, ces dix réacteurs n’ont jamais fonctionné tous simultanément, du fait d’inspections périodiques, d’arrêts de maintenance ou de travaux complémentaires.
Quels sont les objectifs du gouvernement?
Le Premier ministre Fumio Kishida avait fixé l’été dernier l’objectif d’avoir neuf réacteurs nucléaires en activité dans l’archipel cet hiver, de quoi couvrir environ 10% de la consommation d’électricité du pays.
Ce premier but est atteint, plusieurs réacteurs ayant été rebranchés ces dernières semaines. M. Kishida espère aussi voir sept réacteurs supplémentaires redémarrer d’ici à l’été 2023. Il a lancé une réflexion sur la construction de réacteurs de nouvelle génération et proposé d’étendre la durée d’exploitation des anciennes centrales au-delà de la limite actuelle de soixante ans.
Le Japon vise une part du nucléaire à 20-22% de sa génération d’électricité d’ici à 2030, contre 30% avant Fukushima et 6,9% sur l’exercice annuel 2021/22 achevé fin mars.
Le nucléaire doit aussi servir à respecter les engagements climatiques du Japon, à savoir une baisse de 46% de ses émissions de CO2 en 2030 par rapport à 2013 et la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Inquiétudes sur la sécurité
Les ambitions nucléaires du gouvernement dépendent en premier lieu du bon vouloir de l’Autorité de sûreté nucléaire japonaise (NRA), un organisme indépendant créé en 2012. “Il y aura des difficultés” pour relancer les réacteurs existants, ne serait-ce que parce que certains d’entre eux “ont été arrêtés pendant longtemps”, note Tom O’Sullivan, consultant en énergie du cabinet Mathyos Advisory à Tokyo, interrogé par l’AFP. Et “vu ce qu’il se passe à la centrale nucléaire de Zaporijjia en Ukraine, je pense que la NRA est sans doute devenue plus sensible au risque d’attaques terroristes” sur des réacteurs japonais, estime cet analyste.
Parmi les sept réacteurs supplémentaires que le gouvernement espère voir redémarrer d’ici à l’été 2023, figurent deux unités de la centrale géante de Kashiwazaki-Kariwa, dans le département de Niigata (centre du Japon), dont des failles béantes de sécurité anti-intrusion ont fait scandale ces dernières années.
La population est-elle prête?
Les réticences de l’opinion publique japonaise vis-à-vis du nucléaire ont diminué depuis la guerre en Ukraine et la flambée des prix énergétiques, selon de récents sondages. Mais l’opposition de riverains de centrales demeure vive. Obtenir leur consentement sera une autre “difficulté-clé”, a prévenu dans une note Hiroe Yamamoto, analyste chez Moody’s.
Une relance rapide des réacteurs va aussi dépendre des autorités locales concernées et de la popularité du Premier ministre Kishida l’an prochain, selon Nobuo Tanaka, président du groupe de réflexion japonais Innovation for Cool Earth Forum (ICEF) et ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Or, M. Kishida “est en difficulté en ce moment”, a souligné M. Tanaka lors d’une récente conférence de presse, en faisant allusion à des scandales qui ont fait chuter la popularité de son gouvernement depuis l’été dernier. “Se contenter de dire que nous avons besoin (du nucléaire, NDLR) à cause des prix élevés de l’énergie pourrait ne pas suffire” pour persuader l’opinion publique du bien-fondé d’une relance durable du secteur, a encore mis en garde M. Tanaka, insistant sur la nécessité de discuter sur le fond et de traiter des questions sensibles, comme la gestion des déchets nucléaires.