The Oxford Institute for Energy Studies a diffusé le 6 octobre dernier sous le titre « Regulating the future European hydrogen supply industry: A balancing act between liberalization, sustainability, and security of supply ? » un rapport qui étudie le rôle que l’hydrogène pourrait avoir dans le futur de l’Europe. Ce rapport traite des défis et enjeux associés à la régulation d’un marché naissant.
Les avancées technologiques dans le domaine de l’hydrogène
Afin de comprendre les implications d’une régulation du secteur de l’hydrogène, voici un aperçu des avancées technologiques de ce domaine. L’hydrogène – et plus particulièrement l’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables – est vu par les autorités mondiales comme un moyen de décarboner de nombreuses industries. L’hydrogène est mis en avant comme étant une solution pour réduire les émissions de gaz à effets de serre. Il garantirait la disponibilité de l’énergie en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles. Il faut tout de même garder en tête que ce n’est pas une solution miracle qui va du jour au lendemain diminuer les émissions associées à la production d’énergie. En effet, même si la production d’hydrogène, par exemple dans les raffineries, est un procédé maîtrisé et utilisé depuis longtemps, le stockage et le transport de l’hydrogène sont encore en phase d’essais afin de diminuer les quantités d’énergie requises. En effet, pour être stocké, l’hydrogène peut être comprimé à de très hautes pressions (autour des 700 bars) ou liquéfié en étant refroidit à -253°C, ces deux méthodes requièrent beaucoup d’énergie à la fois pour atteindre les conditions de stockage mais également pour maintenir ces états sur de longues périodes. De plus, sous forme gazeuse, l’hydrogène prend beaucoup plus de place que le gaz naturel ou l’essence pour une même quantité d’énergie délivrable et est donc peu adapté au domaine des transports – aviation, poids lourds et cargos – qui sont souvent pointés comme étant des débouchés possibles pour l’hydrogène. De fortes contraintes technologiques et économiques restent à résoudre rapidement si l’Europe veut développer ce marché dans les prochaines années.
L’intérêt environnemental autour de l’hydrogène est le principal moteur du développement de son marché. Ce dernier est encore jeune et peu développé, c’est pourquoi, il est nécessaire de prévoir une organisation logistique importante et une réglementation solide.
La régulation du marché de l’hydrogène en Europe
Comme elle l’a fait avec les secteurs de l’électricité et du gaz naturel, l’Europe veut réguler le marché de l’hydrogène. Ce dernier n’est pas encore établi et donc l’offre et la demande du secteur dans le futur sont très incertaines. Cette évolution et l’ampleur que prendra le marché seront largement influencées par les évolutions technologiques, les politiques de régulation ou encore les dynamiques économiques.
Développer une régulation Européenne autour de l’hydrogène est une tâche complexe qui doit s’attacher au caractère unique du secteur. La structure doit encourager le développement du marché tout en assurant un accès équitable à cette ressource. La structure doit donc être souple pour pouvoir s’adapter aux différentes évolutions, qu’elles soient géopolitiques, technologiques, ou qu’elles concernent l’échelle du marché.
L’évolution des législations autour de l’énergie en Europe
Afin de comprendre les priorités de l’Europe pour construire ce cadre, le rapport s’est attaché à décrire l’évolution des législations autour de l’énergie sur son territoire. Initialement, l’énergie était une priorité nationale, l’objectif de chaque gouvernement était de garantir la sécurité de l’offre sur leur territoire. L’Europe a ensuite poussé, dans les années 1990, à la libéralisation du secteur et à adopter une réelle gouvernance Européenne en matière d’énergie. Le but était de créer un marché interne où la compétitivité pourrait éclore. La durabilité et la sécurité de l’offre jouaient un rôle mineur dans les préoccupations Européennes. Dans les années 2000, l’Europe a commencé à inclure dans ses règlementations la dimension écologique de l’énergie. Les récents évènements géopolitiques l’ont amenée à s’interroger de plus en plus sur l’importance de la sécurité de l’offre.
Finalement, l’Europe est aujourd’hui amenée à penser la règlementation autour du marché de l’hydrogène avec trois principes aujourd’hui fondamentaux : libéralisme, durabilité et sécurité de l’offre.
Ces trois piliers sont essentiels et souvent complémentaires mais peuvent aussi être en conflit. En effet, optimiser l’efficacité énergétique amène à réduire les importations d’énergies fossiles, ce qui améliore alors la sécurité et la durabilité de l’approvisionnement énergétique. Cependant, des aides nationales pour les énergies renouvelables peuvent affaiblir les marchés internes et leur accessibilité. L’Europe s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, c’est pourquoi le marché de l’hydrogène doit se développer rapidement, satisfaisant ainsi le critère de durabilité. Cette rapidité bouscule les mécanismes traditionnels de libéralisme souvent réticents à prendre des risques ralentissant de fait la croissance des industries de l’hydrogène. Le but est donc d’assurer une évolution rapide et stable du marché pour éviter le risque d’un effondrement.
Similitudes avec les réseaux d’électricité et de gaz naturel
Il existe des similitudes entre les réseaux actuels d’électricité et de gaz naturel, et le déploiement de l’hydrogène. C’est pourquoi le cadre réglementaire pour l’hydrogène doit s’appuyer sur les leçons tirées de l’histoire des secteurs de l’électricité et du gaz naturel. Les règles développées par des entités telles que l’« European Network of Transmission System Operators for Gas (ENTSOG) » et le « European Network of Transmission System Operators for Electricity (ENTSO-E) » pourront être utilisées.
L’article note que les régulations doivent faire face à ces incertitudes et donc être innovantes par rapport aux régulations en vigueur pour les énergies conventionnelles. Elles doivent également être adaptables et tournées vers le futur pour essayer de contrer au mieux les problèmes qui pourraient apparaître. Par exemple, le secteur actuel des énergies conventionnelles peine à s’adapter aux sources d’énergies renouvelables décentralisées montrant ainsi qu’il est indispensable de repenser la structure pour assurer l’essor du marché de l’hydrogène.
Finalement, les régulations concernant l’hydrogène devront se conjuguer avec les régulations déjà en place dans le secteur de l’énergie. L’hydrogène sera lié au secteur de l’électricité pour sa production et au secteur du gaz naturel pour son transport, ce qui requiert une bonne coordination et compatibilité des structures.
Planification du réseau et scénarios d’évolution
L’étude donne plusieurs hypothèses quant aux directions à prendre pour commencer à structurer le cadre légal ainsi que les difficultés auxquelles les législateurs sont confrontés.
Plusieurs topologies de réseaux ont été étudiées (clusters industriels, réseaux décentralisés, système central et périphérique, transport multimodal…), chaque modèle a ses raisons économiques et logistiques et doit être considéré en fonction de l’offre, la demande, et des conditions techniques. La structure optimisée dépend de facteurs comme la localisation, la taille du réseau, la dépendance aux importations… La conclusion principale du rapport est qu’il faut un réseau flexible, adaptable et capable d’évoluer en fonction des conditions instables du marché.
Étant donné qu’il n’y a pas encore de marché établi, les réglementations doivent encourager l’innovation, l’envie d’investir dans des infrastructures, à l’aide par exemple d’aides publiques afin de stimuler le développement du marché.
Plusieurs modes de transports sont utilisables pour acheminer l’hydrogène (pipelines, camions, transports maritimes, hydrures…) mais l’étude se dirige vers une réutilisation de pipelines de gaz naturel pour le transport de l’hydrogène en raison des similitudes entre les deux vecteurs énergétiques. Les pipelines sont considérés par l’étude comme étant l’option la plus économique pour une distribution de grande ampleur sur de longues distances. Cependant, Ludovic Leroy, professeur à l’IFP, dans le podcast Échanges Climatiques revient sur le fait que la tuyauterie des canaux permettant d’acheminer le gaz naturel n’est pas adaptée pour l’hydrogène, le matériau ne pourrait pas le supporter. En effet, l’hydrogène joue sur la composition des métaux (ce qui fait d’ailleurs qu’il est possible d’en transporter sous forme d’hydrures), pouvant les fragiliser et rendant ainsi impossible la conversion du réseau de gaz naturel actuel. Si ce mode de transport à travers l’Europe est effectivement retenu, alors les opérateurs des pipelines auront le monopole du transport de l’hydrogène et des mesures devront être prises afin de garantir un accès équitable aux différents protagonistes (producteurs, consommateurs et transporteurs). Toutefois, il est bien mentionné dans le rapport que de nouveaux acteurs pourraient entrer dans les discussions et amener leurs innovations et nouvelles perspectives ce qui pourrait contribuer à améliorer la compétitivité du secteur.
Secteurs demandeurs d’hydrogène
Les secteurs qui portent la demande en hydrogène sont principalement l’industrie pétrochimique et l’industrie de l’acier. Les projections établissent un développement de la demande pour les transports lourds et la production d’électricité. L’hypothèse est que la demande, d’abord centrée sur des régions spécifiques, va se diversifier et conduire à une demande d’infrastructures décentralisées. L’étude invite également à penser l’hydrogène comme un moyen de stocker l’électricité renouvelable de manière saisonnière, ce que certains spécialistes du secteur modèrent en raison de l’énergie à déployer pour son stockage et des difficultés pour stocker durablement de l’hydrogène et limiter ses pertes.
La production d’hydrogène est assurée pour l’instant par deux méthodes. Tout d’abord l’électrolyse à partir d’énergies renouvelables mais également à partir de procédés de traitement du gaz naturel. L’hydrogène peut donc être produit à partir d’énergies renouvelables lesquelles sont dispersées dans l’Europe (de l’énergie solaire est disponible autour de la Méditerranée et de l’énergie éolienne dans les régions du Nord) ce qui fait que la production actuelle d’hydrogène est décentralisée avec de petits centres de production répartis sur tout le territoire européen.
Pour s’adapter à la nature décentralisée de la production ainsi qu’aux probables changements autour de la demande, le planning du réseau doit être transparent et inclusif. L’Europe peut s’aider d’outils déjà développés tels que le « Ten-Year Network Development Plan (TYNDP) » et le « Projects of Common European Interest (PCI) ». Plusieurs techniques de simulation prévisionnelle ont été employées pour déterminer l’évolution du marché. Différents scénarios probables pour le système énergétique de la future Europe ont été développés,
couvrant l’électricité, le gaz naturel et l’hydrogène. Ces simulations peuvent aider à identifier les infrastructures nécessaires et orienter la répartition des fonds Européens.
Une autre approche serait d’avoir un développement par phases qui s’adapterait à l’évolution du marché.
Les mécanismes traditionnels pour couvrir les frais engagés ne pourront pas être appliqués. Il faudra proposer des stratégies différentes telles que fusionner les tarifs de l’hydrogène et du gaz naturel, recourir à des subventions gouvernementales ou à des subventions directes des tarifs de l’hydrogène afin de stimuler l’investissement et la croissance du marché. Encore une fois, du fait de l’état encore peu mature du marché et des incertitudes entourant son évolution, les acteurs devront s’adapter et gérer les recettes d’une manière différente tout en assurant un accès et une compétitivité équitables sur le marché.
Des règles claires pour les conditions d’accès au réseau peuvent faciliter la participation de protagonistes variés, et ainsi promouvoir la compétitivité.
La question de la séparation horizontale et verticale
Du fait des similitudes entre le secteur du gaz naturel et celui de l’hydrogène, le rapport suggère une séparation horizontale qui permettrait aux mêmes opérateurs de gérer à la fois les réseaux de gaz naturel et d’hydrogène afin d’accélérer la maturation du marché de l’hydrogène grâce à une bonne connaissance du milieu. Des mesures devront être prises dans le cas où une telle opération serait menée afin d’assurer une compétitivité équitable et éviter la création de monopoles.
Le rapport pousse également vers une séparation verticale dans laquelle le gestionnaire du réseau est séparé des autres opérations liées à l’énergie afin de limiter le contrôle des entreprises sur toute la chaîne de production, comme il l’a été fait pour les secteurs de l’électricité et du gaz naturel. Enfin, le rapport souligne l’importance de la séparation de la production, du transport et de la distribution de l’énergie. En effet, en séparant ces entités, les échecs du marché, les monopoles naturels pourraient être mieux anticipés, moins impactants sur la chaine de valeur de l’hydrogène et même apporter de la transparence et de l’innovation.
Éléments clefs pour la régulation du marché de l’hydrogène
Finalement, plusieurs éléments clefs ont été mentionnés et leur importance soulignée dans le rapport pour effectuer une régulation du marché de l’hydrogène. Il est essentiel d’assurer un accès équitable à tous les acteurs, ce qui peut également être bénéfique pour sa mise en place, encourager leur participation peut permettre d’augmenter la résistance et durabilité du secteur. Du fait de la synergie entre les différents secteurs, il est essentiel d’avoir des systèmes de coordination Européenne. Le cadre légal doit être innovant et permettre d’anticiper les évolutions futures pour être le plus efficace et utile possible dans la formation du marché de l’hydrogène. L’Europe doit trouver un équilibre entre le libéralisme du marché, la durabilité du secteur et la sécurité de l’offre de l’énergie.