Une réforme du marché européen de l’électricité est abordée par les Vingt-Sept, sur fond d’âpres pourparlers entre Paris et Berlin sur le nucléaire. Il s’agit d’un texte législatif crucial pour la transition énergétique, désormais négocié entre les Etats et les eurodéputés en vue de sa finalisation. En voici les différents points-clés:
Contrats de Long Terme pour Réduire les Factures
Les prix de gros de l’électricité dépendent du coût de la dernière centrale utilisée pour équilibrer le réseau. Par ailleurs, le marché s’était envolé l’an dernier à l’unisson des cours du gaz. Sans modifier structurellement ce fonctionnement du marché de gros, la Commission européenne propose une réforme. Elle entend développer les contrats d’achats d’électricité de long terme à un prix décidé d’avance (PPA) pour lisser l’impact de la volatilité des cours du gaz sur les factures.
Les Etats auront pour charge de les favoriser, par exemple en établissant des régimes de garanties publiques pour couvrir les risques de crédit des acheteurs, en particulier les entreprises. Le texte vise aussi à s’assurer que les fournisseurs d’électricité au détail disposent d’une couverture appropriée, potentiellement en imposant le recours à des PPA, pour réduire leur exposition à la volatilité du marché de gros. La protection des consommateurs serait renforcée, notamment pour les clients vulnérables.
Soutenir l’Investissement dans les Énergies Décarbonées
L’accord des Vingt-Sept rend obligatoire, après une période transitoire de trois ans, le recours à des « contrats pour la différence » (CFD) à prix garanti par l’État pour tout soutien public à des investissements dans de nouvelles centrales de production d’électricité décarbonée (renouvelables et nucléaire). Dans ce mécanisme, si le cours sur le marché de gros est en-deçà du prix fixé (qui tient compte du coût moyen de production additionné d’une marge), l’État verse une compensation au producteur d’électricité. Mais si le cours est supérieur au prix garanti, le producteur doit reverser les revenus supplémentaires engrangés à l’État, qui peut les redistribuer aux consommateurs (industriels, ménages…) ou les réinvestir. Ils ont pour objectif d’encourager les projets de développement d’énergies décarbonées. Puis de garantir une prévisibilité accrue aux investisseurs comme aux producteurs d’électricité.
Les Centrales Nucléaires Existantes
C’était le point le plus âprement débattu, au Parlement comme entre les Etats. Bruxelles proposait que l’usage de CFD s’impose également en cas d’investissements destinés à prolonger l’existence de centrales existantes. Ou bien à accroître la capacité de ces dernières (là encore, seules les énergies décarbonées sont concernées). Il est essentiel pour la France qui souhaite financer la réfection de son parc nucléaire vieillissant. De plus, il peut maintenir pour ses ménages et industriels des prix bas reflétant les coûts de production de l’atome. A l’inverse, Berlin redoutait un avantage compétitif déloyal. Il s’alarme de recettes massives redistribuées aux industriels français, et exigeait des garde-fous drastiques.
Finalement, l’accord des Vingt-Sept prévoit que les CFD seraient possibles. Toutefois, il ne sont pas obligatoires, pour le soutien public à des investissements dans des centrales existantes. Bruxelles devrait ainsi vérifier ces CFD et leur prix afin qu’ils soient établis de façon à « participer efficacement aux marchés de l’électricité ». Cela sans « entraîner de distorsions de concurrence ». En même temps, il faudra s’assurer que la redistribution des recettes générées « ne fausse pas les conditions de concurrence » dans l’EU.
Capacités de Réserve: le Cas du Charbon
Autre sujet de débat: les « mécanismes de capacité ». Ils permettent aux États de rémunérer les capacités inutilisées des centrales. Ceci afin garantir leur maintien en activité et éviter des pénuries futures d’électricité. Plusieurs pays souhaitaient qu’on exempte des contraintes écologiques prévues (limites d’émissions de CO2). On peut citer la Pologne, désireuse d’appliquer cet outil à ses centrales à charbon. L’accord des Vingt-Sept prévoit une dérogation sous conditions jusqu’en 2029. Une potentielle « subvention au charbon » jugée inacceptable par l’eurodéputé Vert Michael Bloss, l’un des négociateurs du Parlement.
Situations de Crise
Le texte fixe les conditions (fortes hausses des prix du marché de gros et des tarifs de détail) pour déclencher une situation de crise au niveau européen, qui ouvre la voie à des mesures d’encadrement des prix (de type bouclier tarifaire) par les Etats. Mais si les eurodéputés acceptent de laisser à Bruxelles le soin de décréter une telle crise, les Etats désirent eux garder la main en se prononçant à la majorité qualifiée. La possibilité de recourir à d’autres mesures, comme un plafonnement des revenus des producteurs d’électricité, fait aussi débat.
En somme, cette réforme du marché européen de l’électricité est un pas crucial vers la transition énergétique. Elle vise à garantir un approvisionnement stable, et favorise les énergies décarbonées et en protégeant les consommateurs. Le compromis entre les Vingt-Sept reflète des intérêts divergents, mais l’Europe avance vers un avenir énergétique plus durable.