Le pétrolier sud-coréen saisi par les autorités iraniennes le lundi 4 janvier dernier semble n’être qu’une victime collatérale. Une victime collatérale de la pression que tente de mettre l’Iran sur les États-Unis en réponse aux sanctions administratives contre les hydrocarbures iraniens. En conséquence desquelles, et non des moindres, depuis 2018 les recettes iraniennes, fruit des échanges avec Séoul, sont gelées en Corée du Sud. 7 milliards USD$ sont ainsi bloqués.
Cette situation entraine une dépréciation économique de l’Iran. Celle-ci s’accompagne, en plus, d’une situation sanitaire liée à la Covid-19 très compliquée, notamment en matière de disponibilité de médicaments. Les États-Unis négocient alors avec un Iran affaiblis, peut-être acculé, en somme, dans un climat explosif. Retour sur la situation irano-américano-coréenne.
Le pétrolier coréen saisi sur fond d’embargo et de blocage financier
Le pétrolier coréen MT Hankuk Chemi et son équipage sont arrêtés dans les eaux iraniennes le 4 janvier 2021. Le chef d’inculpation retenu est la violation des lois environnementales internationales, à savoir la pollution des fonds marins.
Dès le début de cette crise diplomatique, l’Iran appelle la Corée du Sud à ne pas « politiser » la saisie du navire. L’Iran réitère ainsi sa confiance dans la justice de son pays pour clarifier l’affaire. De son côté, la Corée du Sud juge la situation « inadmissible » en l’absence de preuves formelles de violation du droit environnemental par le pétrolier coréen.
Aujourd’hui, à l’exception du capitaine du navire, l’équipage a été libéré.
L’Iran semble alors mener une politique particulièrement agressive sur les mers, d’autant plus qu’il contrôle le passage du détroit d’Ormuz. Un cinquième de la production mondiale de pétrole brut et un quart du commerce de gaz naturel liquéfié y transite. L’Iran menace régulièrement de le fermer. Une décision qui aurait un impact catastrophique sur l’économie mondiale.
7 milliards de dollars gelés en Corée du Sud
Mais en réalité, l’arrestation du pétrolier coréen semble plus faire écho à la situation économique entre l’Iran et la Corée du Sud plutôt qu’à une véritable violation des règles environnementales. Le vice-ministre iranien des affaires étrangères Abbas Aragchi déclarait en ce sens que :
« Depuis environ deux ans et demi, les banques sud-coréennes ont gelé des fonds iraniens… ce n’est pas acceptable ». « de notre point de vue, le gel des ressources en devises de l’Iran en Corée est plus attribuable au manque de volonté politique de la part du gouvernement coréen plutôt qu’aux sanctions américaines. »
Depuis 2018, 7 milliards USD$ d’actifs iraniens sont en effet bloqués dans des banques sud-coréenne. Ce, en raison de la mise en place des sanctions américaines en 2018 menaçant les pays commerçants avec l’Iran. Par conséquent, toutes les transactions financières effectuées avec l’Iran sont interdites. Le pétrole iranien soumis à un embargo.
En saisissant le tanker, l’Iran presse donc la Corée de Sud pour qu’elle libère les fonds bloqués. Abbas Aragchi a également demandé à son homologue sud-coréen de trouver un « mécanisme nécessaire » pour résoudre la question comme « première priorité » dans les relations bilatérales. En somme, la situation des actifs bloqués prime sur la saisine du tanker.
Cette semaine, un accord a enfin été trouvé entre les autorités iraniennes et sud-coréennes afin de transférer certains actifs. Mais le transfert est tout de même sousmis à l’aval américain.
Ainsi, une partie des 1 milliard USD$ qui vont être débloqués devront être conditionnés au paiement des frais d’adhésion de l’Iran à l’ONU. Le pays accumule actuellement un retard de 16 millions USD$. Si le montant devait croitre, son droit de vote à l’Assemblée Générale serait remis en cause.
L’MT Hankuk Chemi victime des tensions américano-iraniennes
Après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien (Vienne) en 2015, l’Iran devenait en 2017 le 3ème fournisseur de brut en Corée du Sud. Le pays est également devenu le plus grand acheteur de dérivés et de gaz iranien. Mais suite à la sortie des États-Unis en 2018 de l’accord et des sanctions administratives qui ont suivi, les relations irano-coréennes se sont taries.
D’abords, les échanges se sont réduit. Les importations pétrolières sont ainsi passées de 7,8 milliards de barils/an en 2017 à 2,1 milliards en 2019. En 2020, aucune importation constatée. Dans le même temps, les sud-coréens ont perdu les contrats de fabrication de pétrolier iranien.
Même situation sur le dossier nucléaire
L’autre dossier concerne le nucléaire. En 2015, la présidente sud-coréenne Park Geun-Hye saluait sa signature. Voyant dans cet accord un possible précédent pour une dénucléarisation de la péninsule coréenne.
Suite à cette signature, l’Iran s’engageait donc à ce que son programme nucléaire soit orienté vers le civil. Mais en 2018, Donald Trump alors Président, sort les États-Unis de l’accord et remet en place les sanctions contre l’Iran. Entre autres ripostes, le pays du golfe restreignait la semaine les inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur ses activités nucléaires, avant de revenir en partie cette semaine sur sa décision.
Mais en janvier 2020, l’Iran reprenait tout de même son programme en enrichissement de l’uranium à 20% Dépassant ainsi les limites autorisées par l’accord de Vienne. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères iraniennes énonçait que ces « mesures de l’Iran étaient pour préserver l’accord [sur le nucléaire iranien de 2017]. »
Reprise possible des négociations ?
Le président Biden, lui, a déclaré vouloir reprendre les discussions. Il a ainsi accepté l’invitation de l’Union Européenne (UE) pour organiser de nouveaux pourparlers.
Le résultat des élections présidentielles iraniennes en juin conditionnera cependant l’avenir des négociations. Rien n’est gagné puisque les conservateurs et les partisans d’une ligne dure anti-occidentale gagnent de l’influence dans le pays.
Le pétrolier coréen saisi pour sauver la population iranienne ?
Ces tensions se figent alors dans un climat économique iranien intrinsèquement lié à ses exportations en pétrole. Celles-ci représentent en effet 50% des recettes étatiques et fournissent 95% des devises en temps normal. Actuellement, et malgré les sanctions, des débouchés ont été trouvées vers la Chine, l’Irak, mais aussi l’Afghanistan.
Malgré cela, la réduction des échanges a engendré une dégradation rapide du niveau de vie en Iran entre inflation et explosion du chômage. En parallèle, le pays est fortement touché par la crise sanitaire de la Covid-19. Le dégel des avoirs à l’étranger serait alors un moyen de financer les vaccins.
Actuellement, un seul mécanisme efficace peut détourner les sanctions américaines. Il s’agit du Swiss Humanitarian Trade Arrangement permettant aux entreprises suisses d’envoyer des médicaments et des produits vitaux. Le système européen de Instex, lui, n’a pas fait ses preuves.
En somme, l’Iran est au bord de l’implosion sanitaire, mais aussi au bord du gouffre financièrement. De fait, le pays mise sur une politique plutôt agressive, notamment envers les États-Unis et ses premiers alliés. Et lorsque l’Iran, s’attaque à la Corée du Sud, il s’attaque en réalité au premier protégé. Mais aussi au pays pris en étau entre la Corée du Nord et la Chine, ennemis économiques et idéologiques des États-Unis.
En bref, l’Iran se rapproche de l’axe asiatique plutôt qu’occidental. De son côté, Biden profite de la décision radicale de Donald Trump pour renégocier les termes de l’accord de Vienne plutôt que de re-entrer en son sein sans conditions. Au milieu, la Corée du Sud sert de tampon.