La décision surprise dimanche de certains membres de l’Opep+ de réduire drastiquement leur production de pétrole, qui a provoqué lundi une flambée des cours, est une aubaine pour Moscou et une nouvelle preuve de la solidité du couple russo-saoudien.
Pourquoi une telle décision ?
La mesure a été prise par huit membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (Opep+), pour plus d’un million de barils par jour au total. Contrairement aux coupes mises en oeuvre face à la pandémie de Covid-19, ils ont préféré agir sans passer par le cadre formel de l’alliance qui nécessite l’accord de chacun, à savoir des 13 pays de l’Opep et de leurs 10 partenaires.
« Nous assistons à l’émergence d’un groupe Opep+ agile, capable et désireux de prendre les devants », estime Bjarne Schieldrop, analyste de la banque SEB. L’Opep, créée en 1960 et siégeant à Vienne, vise à « coordonner les politiques pétrolières » de ses membres pour assurer « des prix équitables et stables aux producteurs ». Elle a formé en 2016 l’Opep+ en incluant de nouveaux alliés, dont la Russie et Oman. C’est justement cet argument de « la stabilité » qui a été invoqué lundi par l’alliance, alors que les prix du pétrole ont fortement souffert de la récente crise bancaire aux Etats-Unis et en Europe.
Les craintes de récession mondiale ont resurgi et les investisseurs ont délaissé les actifs à risque, comme les matières premières, au profit des valeurs refuges. Pour Stephen Innes, analyste chez SPI Asset Management, « l’Opep+ a décidé de tracer une ligne rouge à 80 dollars le baril de Brent (pétrole de la mer du Nord, NDLR) ».
En quoi conforte-t-elle Moscou ?
La perspective de franches coupes a aussitôt fait remonter les cours, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte de forte demande avec la réouverture économique de la Chine, premier importateur mondial de pétrole brut. Ce regain profite particulièrement à la Russie qui « a besoin de pétrole pour financer sa coûteuse guerre en Ukraine », rappelle M. Schieldrop.
Moscou a, en effet, été la cible de nombreuses sanctions occidentales en réaction à son invasion de l’Ukraine, dont le but était précisément de réduire la manne financière de l’or noir. Pour l’expert de SEB, la décision confirme ainsi que « la Russie est toujours une partie intégrante et importante » du groupe Opep+. Et elle fortifie encore le couple russo-saoudien, que la guerre n’a pas ébranlé. Au contraire, notent les experts, qui observent ce solide front commun face aux turbulences de ces derniers mois.
D’autant que désormais les deux poids lourds de l’alliance sont sur un pied d’égalité: en abaissant nettement sa production, l’Arabie saoudite se rapproche du volume moindre écoulé par la Russie sous l’effet des sanctions.
Pourquoi c’est un revers pour Washington ?
Les Etats-Unis avaient déjà mal pris la précédente réduction annoncée en octobre. C’est là « une nouvelle provocation pour les pays consommateurs, qui sont à la peine du fait de taux d’intérêt élevés et d’une forte inflation », relèvent les analystes de DNB. Les autorités américaines ont réagi lundi aux coupes surprise de production en les jugeant « pas opportunes », par la voix de John Kirby, un porte-parole de la Maison-Blanche. Il a toutefois noté que les cours du pétrole avaient baissé depuis l’automne.
« Nous nous concentrons sur les prix, pas sur le nombre de barils », a-t-il ajouté. Si l’Opep+ est née en réaction aux défis posés par la concurrence américaine, elle n’a désormais plus peur du pétrole de schiste produit aux Etats-Unis, dont la croissance s’essouffle.
L’organisation, qui domine le marché avec 60% des exportations d’or noir à son compteur, « a un pouvoir significatif pour fixer les prix » comparé à la situation d’il y a quelques années, selon M. Innes. Sur le plan diplomatique aussi, « l’Arabie saoudite ne craint pas les Etats-Unis », qui entretiennent des relations complexes avec Ryad et ont perdu de leur influence dans la région, note Neil Wilson, analyste de Finalto.
« Nous assistons à l’avènement d’une nouvelle ère », dit-il, comme en témoigne le récent rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite sous les auspices de la Chine. « Les Saoudiens font ce qu’ils ont à faire et la Maison-Blanche n’a visiblement pas son mot à dire », résume-t-il.