Les petits réacteurs nucléaires connaissent ces dernières années un regain d’intérêt dans le monde. Pendant longtemps, ces petits réacteurs n’étaient de facto guère utilisés en dehors des opérations militaires, particulièrement pour les sous-marins. Aujourd’hui, la donne a changé avec un usage beaucoup plus civil de cette technologie dans un contexte de transition énergétique. Les petits réacteurs nucléaires (SMR en anglais) pourraient ainsi favoriser l’intégration des énergies renouvelables intermittentes dans le mix énergétique.
Pour la filière nucléaire, il s’agit d’un changement majeur de paradigme vers davantage de flexibilité de la production. Depuis des décennies, la filière se caractérisait en effet par une course aux réacteurs de grande puissance. L’objectif consistait alors à réduire le taux de combustion afin de maximiser la puissance par combustible utilisé. Cette démarche semble aujourd’hui largement remise en cause après les échecs de l’EPR en France et de l’AP-1000 aux États-Unis.
Pourtant, cette substitution des grands réacteurs vers les petites unités reste encore aujourd’hui largement hypothétique. De nombreuses contraintes techniques font ainsi obstacle au déploiement sur une large échelle de ces petits réacteurs. Dans ces conditions, quels sont les enjeux et les défis des petits réacteurs nucléaires ?
Les avantages des petits réacteurs nucléaires
Les petits réacteurs nucléaires se définissent comme des réacteurs à fission d’une puissance inférieure à 300 MW. Du fait de leur petite taille, ils peuvent faire l’objet d’une fabrication de type modulaire en usine. En outre, ils sont transportables par pièces détachées permettant leur installation directe sur le site d’implantation. Ces caractéristiques donnent un certain nombre d’avantages aux SMR face aux réacteurs de plus grande puissance.
Premièrement, les petits réacteurs bénéficient d’une architecture technologique intégrée simplifiant l’utilisation du combustible. Ainsi, la totalité du circuit primaire se retrouve installée à l’intérieur de la cuve ce qui favorise la stabilité. Les coûts d’ingénierie civile nécessaires à la sécurisation des réacteurs s’en trouvent donc largement réduits. Ce point est fondamental, car ce sont les dérapages de ces coûts qui expliquent l’échec des réacteurs de troisième génération.
De plus, la fabrication modulaire des SMR favorise son implantation dans des régions isolées, l’assemblage se faisant directement sur place. En cela, les petits réacteurs peuvent permettre à la filière nucléaire de conquérir de nouveaux marchés. Dans cette optique, Rosatom a utilisé des petits réacteurs pour alimenter des régions en Sibérie au moyen d’une barge flottante. De même, les SMR sont particulièrement convoités par les pays du Moyen-Orient afin de fournir leurs usines de désalinisation.
Ces avantages techniques sont pourtant mineurs si on les rapporte aux gains financiers que pourraient engendrer les SMR. D’après une étude du MIT, ces petits réacteurs entraînent ainsi une baisse de 20 à 40 % des coûts. Le retour sur investissement est également plus rapide ce qui favorise l’attractivité financière de la technologie. Par conséquent, les SMR font l’objet d’une véritable frénésie d’investissements ces dernières années.
La course mondiale aux petits réacteurs nucléaires
L’intérêt porté pour les petits réacteurs nucléaires ne cesse de s’étendre dans le monde. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable course technologique pour dominer ce nouveau pan de la filière nucléaire. À l’heure actuelle, seule la Russie a mis en service un SMR qui est une version modernisée des KTL-40 soviétiques. Cependant, ce réacteur a connu de nombreux retards et n’est utilisable que sur barge ce qui handicape son attractivité.
Le projet russe RITM-200 semble quant à lui beaucoup plus compétitif, mais il est encore en stade de développement. La Chine s’est également invitée dans la course avec l’ACPR50 de CGN et l’ACP100 de CNNC. Pour l’heure, ces deux réacteurs n’ont pas encore été commercialisés. Autre acteur important, la Corée du Sud développe un SMR nommé SMART destiné aux usines de dessalement saoudiennes.
Ces dernières années, de nouveaux acteurs sont apparus dans la course aux petits réacteurs. On trouve notamment l’Argentine avec son projet CAREM actuellement en construction. Le Canada, avec l’IMSR de Terrestrial Energy, et la France, avec le projet Nuward, se positionnent également sur cette technologie. Enfin, les États-Unis disposent de sept SMR en construction, le projet NuScale étant à l’heure actuelle le plus avancé.
Tous ces réacteurs ne devraient cependant pas être opérationnels avant les années 2030. Ce délai s’explique par le temps nécessaire de certification mais surtout par des contraintes techniques aujourd’hui non résolues.
Les contraintes pesant sur les petits réacteurs nucléaires
La compétitivité des petits réacteurs nucléaires dépendra en grande partie des économies d’échelle réalisées. Les constructeurs devront être ainsi en capacité de commercialiser des volumes suffisants afin de rentabiliser leurs investissements. Une des clés de réussite sera de faciliter la standardisation internationale des pièces utilisées. Dans cette optique, la compétition technologique entre les États se transformera probablement en une rivalité future pour l’établissement des standards.
Pour l’heure, la principale difficulté réside dans la recharge du combustible. En effet, une charge faible de combustible limite considérablement la durée d’utilisation des SMR avant leur renvoi en usine. Tout le travail de recherche consistera dès lors à augmenter cette durée d’utilisation sans avoir besoin de recharger constamment le combustible.
Afin d’atteindre cet objectif, Framatome et GA-EMS ont annoncé le 14 octobre dernier leur projet FMR de petit réacteur. Ce SMR permettra ainsi une exploitation du réacteur durant 9 ans ce qui représente une véritable avancée technologique. Il devrait être commercialisé au milieu des années 2030. GA-EMS a également annoncé le projet EM2 conçu pour être utilisé pendant 30 ans sans recharge.
La question de la recharge de combustible apparaît donc centrale pour permettre le déploiement des SMR dans le monde. À l’heure actuelle, la technologie n’est encore qu’au stade de développement malgré un intérêt certain des investisseurs. Il faudra probablement attendre la prochaine décennie pour voir l’impact concret des SMR pour la filière nucléaire.