Sous pression croissante, la plupart des compagnies pétro-gazières du monde occidental investissent dans les énergies vertes mais sans abandonner les énergies fossiles, arguant qu’il faut répondre à la demande de pétrole et de gaz, au risque de rater l’objectif de la neutralité carbone en 2050.
Au milieu d’un parterre d’actionnaires, des voix scandent « Allez en enfer! » La scène s’est déroulée mardi à l’assemblée générale de Shell à Londres prise pour cible par des dizaines de militants environnementaux. Et l’histoire se répète ailleurs. Après Shell, BP ou Barclays, banque accusée de financer l’exploitation d’hydrocarbures, TotalEnergies s’apprête aussi à vivre vendredi une assemblée générale houleuse, comme en 2022.
Depuis 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) presse le monde d’arrêter tout nouveau projet d’exploration pétrolière pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés par rapport aux niveaux pré-industriels. Mais de nouveaux champs pétroliers continuent d’ouvrir.
Pas assez de renouvelables
L’industrie pétro-gazière, surtout européenne, s’est certes fixé des objectifs pour faire sa mue et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Mais les investissements du secteur en faveur des énergies renouvelables ont représenté en 2022 moins de 5% de ses dépenses consacrées à l’exploration et à l’extraction fossile, selon l’AIE, qui note que ce n’était qu’1% en 2020. Les entreprises européennes font mieux mais même chez elles, les investissements « sont minuscules comparé à leurs dépenses pour l’expansion du pétrole et du gaz », déplore David Tong, porte-parole de Oil Change international.
La marge de progression est énorme. Outre les renouvelables, les entreprises pourraient orienter « plus de dépenses » dans des technologies telles que la captation et le stockage du carbone, le biogaz, l’hydrogène et les carburants à faibles émissions « qui semblent bien correspondre à leur expertise », estime Christophe McGlade, chef de l’unité d’approvisionnement en énergie de l’AIE. « Cela pourrait vraiment faire bouger les choses », ajoute l’expert.
Du pétrole au gaz
L’essentiel des efforts des majors portent sur leurs émissions directes et celles liées à l’énergie qu’elles consomment elles-mêmes, qui au total représente 15% ou moins de leur empreinte carbone (périmètres de « scopes 1 et 2 » dans le jargon). Elles y arrivent par exemple en luttant contre les fuites de méthane (le gaz naturel) ou en arrêtant le torchage du gaz.
BP a ainsi diminué ces émissions de 41% en 2022 par rapport à 2019 et a annoncé l’objectif de -50% en 2030, contre 30-35% prévu en 2020. Même les compagnies américaines, longtemps rétives, s’y mettent, mais plus timidement. ExxonMobil compte ainsi réduire d’environ 20% les émissions « à l’échelle de l’entreprise » à l’horizon 2030 par rapport à 2016. Mais l’essentiel est ailleurs: les émissions indirectes liées à la combustion du pétrole dans les voitures ou du gaz fossile dans le chauffage (« scope 3 »), qui représentent 85% ou plus de leur empreinte carbone. Leur baisse implique mécaniquement de se passer de plus en plus du pétrole (et à terme, de gaz).
Or, BP a annoncé cette année qu’il allait augmenter ses investissements dans les énergies bas-carbone mais autant dans le pétrole et le gaz, ralentissant le rythme de sa transition énergétique. Un tollé environnemental. Au lieu de réduire ses émissions indirectes liées à sa production de 35-40% de 2019 à 2030, BP table désormais sur 20-30%. Chez TotalEnergies, on prévoit un maintien d’ici 2030 des émissions indirectes au niveau actuel, soit en dessous de 400 millions de tonnes par an, à peine moins que les 389 millions déclarées en 2022.
Si le groupe prévoit que le pétrole ne représentera plus qu’environ 30% du total de ses ventes dans la décennie (contre 55% en 2019), il va en revanche augmenter considérablement ses ventes de gaz (50% de ses ventes d’ici 2030). De fait, « le secteur en 2030 sera plus dominé par le gaz que le pétrole », estime Moez Ajmi, expert en énergie chez EY.
Pour Christophe McGlade à l’AIE, une chose est sûre: « si les entreprises misent sur une augmentation continue de la demande de pétrole et de gaz, elles supposent implicitement que nous n’atteindrons pas nos objectifs de net zéro en 2050 ».