Les relevés opérés début 2025 confirment un recul préoccupant des stocks de gaz dans l’Union européenne (UE). Ils atteignent 58,5 % de remplissage moyen, contre 74 % à la même période en 2024. Cette différence de près de 16 points souligne la difficulté à compenser la baisse drastique des flux russes, interrompus via l’Ukraine depuis le 1ᵉʳ janvier. Sur les marchés, le contrat TTF (Title Transfer Facility) – référence pour le prix du gaz en Europe – avoisine désormais 50 euros par mégawattheure (MWh), reflétant les incertitudes persistantes quant à l’équilibre entre l’offre et la demande.
Écarts entre États membres et évolution des obligations
Au niveau national, la situation varie sensiblement. En Allemagne, les installations de stockage culminent à 60 %, un niveau inférieur de dix points par rapport à janvier 2024. La France enregistre 55 %, tandis que l’Italie oscille à 52 % malgré un hiver plus rigoureux et une consommation industrielle soutenue. Aux Pays-Bas, la fermeture programmée du champ gazier de Groningue a réduit les capacités, maintenant le taux de stockage à 48 %. En revanche, la Pologne et plusieurs pays baltes frôlent les 53 %, grâce à des achats anticipés et une demande moins soutenue. Face à ce contexte hétérogène, la Commission européenne (EC) a porté l’obligation de stockage de 45 % à 50 % pour le 1ᵉʳ février 2025, incitant les États membres à reconstituer plus tôt leurs réserves. Plusieurs gouvernements se disent prêts à envisager des mesures de soutien aux opérateurs, bien qu’elles puissent, selon certaines banques d’investissement, générer une pression artificielle sur les prix.
Les échanges au sein de l’UE soulignent par ailleurs la nécessité d’améliorer la cohérence des politiques nationales pour prévenir les ruptures et amortir les chocs tarifaires. Divers rapports, dont ceux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), alertent sur un possible accroissement de la volatilité si les livraisons ne compensent pas le déclin des flux russes. Les options de solidarité bilatérale, initialement prévues dans le règlement européen de 2017, n’ont pas encore abouti à un déploiement systématique, malgré le mécanisme de solidarité par défaut institué en 2023. Les experts préconisent une accélération de ces accords pour limiter les risques de déséquilibre en période hivernale.
Montée en puissance du GNL et contraintes logistiques
La diversification des approvisionnements demeure l’une des réponses majeures à l’arrêt des livraisons russes via l’Ukraine. Le recours au gaz naturel liquéfié (GNL) – notamment en provenance des États-Unis, du Qatar ou d’Afrique du Nord – augmente de façon significative, assurant un volume d’importation plus flexible. Les observateurs notent cependant la concurrence accrue des acheteurs asiatiques, en particulier la Chine, dont la croissance de la demande peut faire grimper les prix internationaux. Parallèlement, les terminaux européens de regazéification ne fonctionnent pas tous à pleine capacité, ce qui rallonge parfois les délais lors des pics de consommation.
Ces problématiques s’ajoutent à la nécessité de développer des infrastructures de transport plus robustes. Plusieurs projets d’intérêt commun (PIC) visent à renforcer le maillage des gazoducs et à moderniser les installations de stockage souterrain, avec un soutien financier de l’UE via le mécanisme pour l’interconnexion en Europe. Malgré l’avancée de certains chantiers, le suivi mené par la Commission et l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) révèle des retards, un manque de coordination dans la planification et, parfois, une rentabilité incertaine liée à l’évolution future de la demande gazière.
Perspectives industrielles et stratégies pour l’avenir
Les secteurs industriels intensifs en gaz, comme la chimie ou la sidérurgie, doivent composer avec l’augmentation de leur facture énergétique et une possible restriction des volumes disponibles pendant les périodes de forte sollicitation. Dans certains cas, des entreprises revoient leur programmation de production en période hivernale, afin de limiter l’exposition aux fluctuations de prix. Cette situation nourrit des craintes quant à la compétitivité européenne, déjà mise à l’épreuve par des coûts opérationnels élevés et des tensions internationales.
Du côté de la Commission européenne, plusieurs pistes sont à l’étude pour renforcer la sécurité d’approvisionnement. Parmi elles, on retrouve la mutualisation partielle des achats via la plateforme AggregateEU, qui agrège les demandes de plusieurs opérateurs pour négocier au mieux avec les fournisseurs. Toutefois, l’impact réel de ce dispositif reste difficile à évaluer, compte tenu du manque de visibilité sur les contrats conclus et de la préférence de certaines grandes entreprises pour des négociations bilatérales. L’objectif général demeure de stabiliser le marché pour éviter des envolées tarifaires comparables à celles de l’été 2022, où les prix du gaz avaient atteint plus de 300 euros/MWh.
Résilience énergétique et enjeux réglementaires
La mise en place de seuils minimaux de stockage de plus en plus stricts témoigne de la volonté de l’UE de se prémunir contre d’éventuelles ruptures d’approvisionnement. De nombreux États membres ont d’ailleurs annoncé l’accélération de la transition énergétique pour réduire progressivement leur dépendance au gaz fossile. Des mesures d’économie, le déploiement d’unités renouvelables et l’investissement dans la recherche sur le captage et stockage du carbone (CSC) font partie des axes identifiés pour limiter l’impact des tensions internationales.
Bien que les efforts de coordination progressent, les analystes soulignent des fragilités persistantes : absence de contrats stables avec certains fournisseurs alternatifs, concurrence féroce sur le marché du GNL et difficulté à harmoniser les politiques entre États membres. Les stratégies d’urgence devront donc conjuguer investissements ciblés et régulation adaptée, dans un contexte où le prix du gaz demeure influencé par un ensemble de facteurs géopolitiques et climatiques. À court terme, la reconstitution des stocks reste la priorité, alors que l’UE vise la barre des 50 % avant février 2025 pour limiter les risques de pénurie en fin de saison hivernale.