La raffinerie de Dangote, inaugurée en mai 2023 à Lekki, près de Lagos, a pour ambition de transformer le marché nigérian des carburants. D’une capacité de production de 650 000 barils par jour, cette installation est censée réduire la dépendance du Nigeria aux importations de carburant raffiné. Le pays, bien que premier producteur de pétrole brut en Afrique, importe la quasi-totalité de ses carburants, un paradoxe qui perdure depuis des décennies. Pourtant, malgré les attentes élevées, la raffinerie n’est toujours pas opérationnelle, et les questions persistent sur le calendrier et le prix auquel l’essence sera vendue sur le marché domestique.
Les autorités et les acteurs économiques restent prudents. La Nigerian National Petroleum Company (NNPC), unique acheteur de l’essence destinée au marché local, a évoqué une mise en vente possible à partir du 15 septembre. Cependant, des retards successifs et une communication ambiguë ont semé le doute parmi les observateurs du secteur. Les fluctuations des prix du pétrole brut à l’échelle mondiale et les coûts de raffinage alimentent également l’incertitude quant à la possibilité de maintenir des prix compétitifs sur le marché intérieur.
Stratégies de Ventes et Incertitudes de Prix
Les perspectives de prix pour l’essence produite par la raffinerie de Dangote sont loin d’être claires. Selon Ayotunde Abiodun de SBM Intelligence, les réalités du marché, notamment les cours du pétrole, les coûts logistiques et les marges de raffinage, pourraient rendre impossible une réduction substantielle des prix à court terme. De nombreux Nigérians, déjà frappés par une augmentation de 45 % des prix à la pompe après la suppression des subventions en mai 2023, espèrent une stabilisation. Pourtant, les économistes estiment que ces attentes sont trop optimistes, étant donné que le groupe Dangote doit amortir un investissement massif de 20 milliards de dollars pour la construction de la raffinerie.
Pour rentabiliser cet investissement, Dangote pourrait choisir de vendre une part importante de sa production sur les marchés internationaux où les marges sont plus élevées. Ce choix soulève des questions sur l’engagement de l’entreprise à répondre aux besoins domestiques. Si la stratégie de vente priorise les exportations, l’impact escompté sur la réduction des prix domestiques et la fin des pénuries pourrait être limité. Cela poserait également des défis pour la NNPC, qui continue d’accumuler une dette importante en achetant du carburant plus cher qu’elle ne le revend.
Approvisionnement en Pétrole Brut : Un Enjeu Critique
L’approvisionnement en pétrole brut reste un point de friction majeur entre la raffinerie de Dangote et les autorités nigérianes. Selon des sources industrielles, la NNPC n’a pas toujours été en mesure de fournir le brut nécessaire à des conditions compétitives. Cette situation oblige Dangote à s’approvisionner sur les marchés internationaux, où le brut est plus coûteux de 3 à 4 dollars par baril par rapport aux prix domestiques. Dans ce contexte, la stratégie de sourcing devient cruciale pour la viabilité économique de la raffinerie. L’accès à un pétrole brut à prix compétitif pourrait déterminer si la raffinerie peut offrir des prix raisonnables sur le marché local.
Les tensions politiques autour de ces approvisionnements sont également à surveiller. L’actuel président Bola Ahmed Tinubu semble moins proche de Dangote que son prédécesseur Muhammadu Buhari, ce qui pourrait influencer la dynamique des relations entre l’entreprise et l’État. Cette situation politique, combinée à la concurrence internationale, pourrait modifier les conditions d’exploitation de la raffinerie et sa capacité à répondre aux besoins énergétiques nationaux.
Risque de Monopole et Réactions du Marché
L’éventualité d’un monopole de Dangote sur le marché nigérian des carburants suscite des préoccupations parmi les acteurs du secteur. Si la raffinerie devient la principale source d’essence pour le Nigeria, cela pourrait restructurer le marché de manière significative. Les traders pétroliers locaux et internationaux craignent que cette position dominante n’entrave la concurrence, modifiant les dynamiques d’importation et de distribution qui ont prévalu pendant des décennies.
Cependant, le groupe Dangote rejette ces préoccupations, affirmant que les conditions actuelles du marché ne garantissent pas une situation monopolistique. L’entreprise soutient qu’elle reste ouverte à la collaboration avec d’autres acteurs du secteur. Malgré cela, la question de la concurrence et de la transparence dans le secteur pétrolier nigérian reste d’actualité, en particulier avec la diminution de la production nationale de brut, qui a chuté à moins de 1,2 million de barils par jour en 2023, loin de l’objectif gouvernemental de 2 millions.
Conséquences pour le Secteur Énergétique Nigérian
La raffinerie de Dangote pourrait représenter une opportunité unique pour le Nigeria de restructurer son secteur énergétique. Toutefois, les défis économiques, politiques et logistiques demeurent importants. Les stratégies de vente, l’approvisionnement en brut et les relations avec le gouvernement seront déterminants pour l’avenir de cette installation. Le marché nigérian des carburants reste en attente de clarté sur l’impact réel de cette nouvelle raffinerie sur les prix domestiques et la sécurité énergétique.