La neutralité carbone et ses implications font l’objet du dernier épisode des Conversations CERAWeek des experts d’IHS Markit.
Neutralité carbone Explorer les implications de la transition énergétique
« Vous ne pouvez aller nulle part dans le monde de l’énergie et même dans le monde politique ces jours-ci sans tomber sur ces deux mots – transition énergétique. »
La transition énergétique émergente est en train de façonner la « nouvelle carte » de l’énergie et de la géopolitique. Les transitions précédentes ont pris des décennies, voire des siècles. Les ambitions actuelles, quant à elles, nécessitent de remodeler le système énergétique et l’économie mondiaux en seulement 29 ans.
Cette transition aura des implications significatives pour les marchés énergétiques, technologiques, la géopolitique, les chaînes d’approvisionnement et la stratégie commerciale. Face à l’incertitude, les experts d’IHS Markit offrent « quelques perspectives sur où nous sommes et où nous allons ». Daniel Yergin, vice-président d’IHS Markit, anime cette conversation sur les implications du « paysage changeant » de la transition énergétique.
L’élan écologiste poussé par la crise sanitaire
Jim Burkhard, spécialiste des marchés pétroliers, énergie et mobilité chez IHS Markit, explique les raisons de cet élan nouveau :
« Le COVID-19 a réorganisé les valeurs et les priorités des gens [et] des gouvernements. Il a probablement alimenté le sentiment que quelque chose est en train de dérailler dans la nature ».
Burkhard affirme que le renforcement des aspirations gouvernementales à la décarbonation depuis fin 2020 n’était pas entièrement prévisible. Pour lui, cet élan vers la neutralité carbone résulte avant tout de la crise sanitaire.
Susan Farrell, spécialiste du climat et de la durabilité, rappelle l’origine chinoise de cette tendance vers le net-zéro. L’annonce du premier émetteur mondial en septembre 2020 avait précédé une annonce similaire du deuxième émetteur : les États-Unis. En outre, Farrell souligne le dynamisme d’autres acteurs au cours des 18 derniers mois, notamment celui du secteur financier.
Trois technologies phares
Atul Arya, spécialiste de la stratégie énergétique, décrit les trois catégories de technologies qui guideront la transition énergétique :
- La première catégorie fait référence aux énergies renouvelables prêtent à être déployées. Entre solaire, éolien onshore et offshore.
- La deuxième catégorie fait référence aux technologies ayant encore des problèmes de coûts. Notamment le captage et la séquestration du carbone et l’hydrogène vert.
- La troisième catégorie de technologies fait référence au stockage. Une technologie qui n’est pas encore au point pour un déploiement à grande échelle.
Pression sur les chaînes d’approvisionnement
Selon Yergin, le net-zéro impliquera la création de chaînes d’approvisionnement entièrement nouvelles, l’exploitation des énergies renouvelables nécessitant beaucoup de matériaux. La pression sur ces chaînes pourrait donc s’intensifier et devenir un enjeu géopolitique. Les tensions montantes entre les États-Unis et la Chine sont un symbole de cette pression.
« Vous ne pouvez pas refaire ce qui est aujourd’hui une économie mondiale de $93.000 milliards en 28 ans et demi sans beaucoup de « matériel », et la provenance de ce matériel sera très importante. »
Les investisseurs font pression
La tendance vers la neutralité carbone présente des défis particuliers pour les entreprises, qui doivent se plier aux nouvelles exigences. Farrell évoque la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures, qui impose aux entreprises de présenter des stratégies, suivant différents scénarios. Or, il est très difficile pour une entreprise d’investir suivant un scénario qu’elle ne pense pas voir se réaliser.
Les sociétés pétrolières et gazières subissent particulièrement la pression des investisseurs. En effet, ces derniers exigent de plus en plus d’actions concrètes en faveur de la transition énergétique.
La transition pose plus de problèmes aux petites entreprises. En effet, celles-ci ne peuvent pas s’engager à la fois dans les secteurs pétrolier et gazier, et dans le renouvelable. L’enjeu pour elles est alors de déterminer comment opérer une transition plutôt qu’une transformation de leur entreprise.
Des disparités entre pays développés et en développement
Un obstacle majeur à la transition énergétique est son impact économique, notamment pour les pays en développement. Par exemple, l’économie indienne dépend fortement du charbon, dont l’industrie emploie des millions de personnes. Un alignement des intérêts avec les pays comme l’Inde est alors difficile, compromettant les objectifs de net-zéro.
Pourtant, le charbon est responsable à lui seul de 10% des émissions mondiales, rendant sa substitution urgente. C’est pourquoi les pays développés s’étaient engagés à transférer $100 milliards aux pays en développement pour financer leur transition. Ce transfert n’a pas eu lieu.
« Un long voyage »
Malgré des avancées significatives dans certains secteurs, notamment celui de l’automobile, l’objectif net-zéro en 2050 est loin d’être atteint. À cet égard, Burkhard rappelle que les véhicules électriques ne représentent que 1% de la flotte mondiale.
Quant à la demande de pétrole, elle connaît une reprise spectaculaire depuis son déclin massif en avril 2020. Il faudra encore du temps pour que la demande de pétrole atteigne un plateau avant d’entamer un réel déclin.
Malgré d’ambitieux objectifs, cette transition vers la neutralité carbone, Arya le rappelle, s’apparentera plutôt à « un long voyage ».