La neutralité carbone en 2060 représente pour la Chine un défi colossal sur le plan énergétique. D’après le gouvernement, cette neutralité nécessitera environ 14,7 mille milliards de dollars d’investissements d’ici 2050, soit 490 milliards chaque année. Le mix énergétique se verra quant à lui totalement bouleversé avec 85 % de parts des énergies non-fossiles. Réduire drastiquement l’addiction chinoise au charbon constituera néanmoins un obstacle de taille aux ambitions de Pékin.
La Chine choisit la voie de la neutralité carbone en 2060
Le leadership chinois sur les questions climatiques
Annoncé lors de l’Assemblée générale virtuelle de l’ONU, l’objectif de neutralité carbone en 2060 a surpris de nombreux observateurs. Il faut dire que les dirigeants chinois s’étaient montrés longtemps réservés devant toute transformation drastique du mix énergétique. L’an dernier, le Premier ministre Li Keqiang faisait même l’éloge du charbon comme moyen d’assurer la sécurité énergétique du pays.
Il semblerait que le changement de cap soit attribuable en partie à des considérations diplomatiques. L’annonce d’un Green New Deal européen ainsi que l’élection probable de Joe Biden ont pesé sur la décision chinoise. Pékin compte en effet imposer son leadership sur les enjeux climatiques et ainsi devenir la championne des biens publics mondiaux.
Une domination chinoise sur les technologies bas-carbone
En plus de ces considérations diplomatiques, la Chine a tout intérêt à devenir neutre en carbone sur le plan économique. En effet, le pays fait figure d’acteur dominant dans les technologies bas-carbone. Sur le solaire, par exemple, 9 des 10 plus grandes entreprises mondiales sont chinoises. Dans l’éolien, les entreprises chinoises représentent 60 % de la production mondiale.
Au niveau global, l’Empire du milieu possède environ la moitié des capacités mondiales en énergies renouvelables (ENR). La Chine maîtrise également l’ensemble des chaînes de valeur produisant ainsi 80 % des matériaux nécessaires à la transition énergétique. De fait, l’objectif de neutralité carbone ne fait que renforcer des points forts de l’économie chinoise. Pékin compte aussi s’appuyer sur cet avantage comme d’un levier afin de favoriser la montée en gamme de son industrie.
Les impacts probables de la neutralité carbone en 2060 sur le mix énergétique
85 % d’énergies non-fossiles dans la consommation primaire d’énergie
Pour l’heure, l’objectif d’une neutralité carbone en 2060 n’a pas encore fait l’objet d’un plan détaillé par les autorités chinoises. La prochaine publication du 14ᵉ plan 2021-2025 pourrait nous en dire plus sur la stratégie adoptée. Cependant, l’Institut Tsinghua, très influent à Pékin, a rendu public un rapport pouvant servir de base aux dirigeants chinois.
Dans ce rapport, l’institut estime qu’il faudrait une inversion complète du mix énergétique en faveur des énergies non-fossiles. Ces dernières devront représenter ainsi 85 % du mix contre 15 % aujourd’hui. L’Institut considère également comme primordial un pic des émissions avant 2030, objectif d’ailleurs récemment repris par le gouvernement.
Une augmentation considérable des énergies renouvelables
Inverser complètement le mix énergétique aura un impact considérable sur le développement des énergies renouvelables ou bas-carbone. Ainsi, selon Tsinghua, la production solaire devrait être multipliée par 16 par rapport à aujourd’hui et l’éolien par 9. La capacité nucléaire devrait quant à elle se voir multiplier par 6 tandis que l’hydroélectricité devrait doubler d’ici 40 ans. Enfin, la Chine mise sur le développement des batteries et de l’hydrogène afin d’intégrer cette poussée des ENR.
Cette révolution énergétique aura des conséquences incalculables pour de nombreux secteurs dans l’énergie. D’un côté, le plan pourrait permettre une baisse du coût global de la transition énergétique tirée par les économies d’échelle. D’un autre côté, cette hausse massive des technologies bas-carbone posera le problème de la disponibilité des matériaux critiques. Ainsi, le cuivre, le nickel ou encore le cobalt risquent de faire l’objet d’une compétition acharnée pour l’accès aux ressources.
La question du charbon dans l’objectif de neutralité carbone en 2060
Un déclin programmé du charbon
Aujourd’hui, le principal obstacle aux ambitions de neutralité carbone en 2060 consiste à réduire progressivement la part du charbon. À l’heure actuelle, celui-ci représente près de 58 % de la consommation d’énergie primaire et 2/3 de la génération d’électricité. D’après Tsinghua, l’ensemble des énergies fossiles devraient représenter moins de 15 % du mix énergétique dans un scénario neutralité carbone.
Dans ces conditions, le charbon n’aura pas totalement disparu mais devra être couplé avec des technologies de capture du CO2. L’Institut est ici moyennement optimiste quant à la diffusion de ces technologies. Rappelons que celles-ci connaissent des problèmes importants de transport et de stockage du CO2 s’ajoutant à des coûts déjà élevés.
Une tâche difficile pour les dirigeants chinois
Afin de réduire la part du charbon, le régime chinois devra faire face à de nombreuses oppositions. Premièrement, le charbon représente un gisement important d’emplois notamment dans le Nord-Est du pays. Pour Pékin, la difficulté consistera donc à s’assurer que la transition énergétique soit équilibrée entre les différentes régions. Deuxièmement, le charbon bénéficie d’un lobby puissant au sein des pouvoirs locaux et des grandes compagnies d’électricité.
Cette énergie est en effet extrêmement compétitive et ne souffre pas des problèmes d’intermittence des ENR. Afin de lutter face à ces forces d’inertie, Pékin a déjà annoncé l’établissement d’un marché carbone au niveau national. De même, le gouvernement devra impérativement accélérer la libéralisation du marché de l’électricité entamée depuis quelques années. La tarification actuelle est en effet contrôlée par les pouvoirs locaux qui privilégient le charbon dans la génération d’électricité.
De fait, la neutralité carbone en 2060 imposera aux dirigeants chinois des réformes énergétiques d’ampleur afin d’éliminer le charbon. Les ENR devraient ainsi profiter de leur coût marginal nul dans un marché électrique davantage libéralisé. Pour les Chinois, il s’agira d’une tâche titanesque étant donné les facteurs d’inertie existants au niveau local. Le choix de la neutralité carbone n’en reste pas moins un levier extraordinaire de modernisation pour l’industrie chinoise.