Le Murban, nouveau contrat pétrolier à la bourse d’Abu Dhabi, pourrait être un premier pas vers la sortie des Émirats Arabes Unis de l’OPEP. Lancé le 29 mars dernier, le Murban veut devenir rapidement le principal benchmark pétrolier au Moyen-Orient. Sa réussite dépendra néanmoins de l’attitude de l’OPEP dans les prochaines années.
Le Murban séduit le marché asiatique
Depuis l’abandon par Riyad de son contrat adossé à l’Arabian Light crude, le Moyen-Orient ne possède pas de benchmark attitré. Contrairement au Brent ou au WTI aux États-Unis, la région se distingue effectivement par la variété des contrats pétroliers utilisés. Ainsi, les acteurs chinois utilisent plutôt le DME Oman pour leurs importations, tandis que d’autres acteurs préfèrent utiliser le Platts/Dubai.
Ces deux contrats de référence se retrouvent néanmoins en grande difficulté depuis quelques années. Le DME Oman subit en effet une perte de crédibilité liée au déclin structurel de la production du sultanat. Pour le Dubai/Platts, le problème se situe au niveau de la qualité du pétrole aujourd’hui décorrélée avec les besoins asiatiques. Étant adossé à un pétrole lourd, ce contrat ne répond plus aux demandes de pétrole léger des raffineurs en Asie.
La création d’un nouveau benchmark
Dans ces conditions, les Émirats arabes unis ont proposé un nouveau contrat pétrolier, le Murban, pouvant servir de référence. Celui-ci a la particularité d’être adossé à un pétrole léger et très peu soufré particulièrement attractif pour les acteurs asiatiques. Il bénéficie également du fait que les Émirats produisent près de 1,2 million de barils par jour de ce pétrole.
Autrement dit, ce contrat possède une profondeur et une liquidité suffisante pour s’imposer rapidement comme la référence au Moyen-Orient. Son lancement, le 29 mars dernier, a d’ailleurs connu un véritable succès. Plusieurs compagnies comme Total, Shell ou BP ont ainsi déjà commencé à utiliser ce type de contrat. De même, de gros acteurs chinois comme PetroChina ou Rongsheng se sont positionnés sur ce marché.
Les Émirats font cavalier seul
La création du Murban constitue cependant un tournant dans l’histoire de l’OPEP. Pour la première fois, en effet, un pays membre a décidé de vendre librement son pétrole sur les marchés. D’habitude, les pays de l’OPEP se caractérisent par leurs contrats aux conditions très stricts limitant notamment les reventes de brut.
Ces clauses dites de destination constituent pour l’organisation un élément clé dans sa stratégie de contrôle des prix. Ainsi, les pays membres de l’organisation possèdent la faculté de faire varier leurs prix en fonction des pays consommateurs. Par exemple, un pays importateur ne peut pas acheter du pétrole saoudien dans un pays autre que l’Arabie Saoudite. Cela donne un véritable pouvoir de négociation pour les pays de l’OPEP.
Un affaiblissement de la cohésion de l’alliance
En autorisant la formation libre des prix de son brut, les Émirats rompent avec les habitudes contractuelles de l’organisation. Cela permet à des acteurs de trading pétrolier notamment d’entrer sur le marché favorisant en retour la liquidité du benchmark. À cela s’ajoute l’augmentation de la flexibilité du contrat pétrolier ne reposant pas sur des clauses de destination.
En conséquence, les Émirats se donnent les moyens d’attirer davantage d’acheteurs pour leur pétrole. La liquidité du benchmark ainsi que la flexibilité des contrats leur offrent de facto un avantage compétitif sur leurs concurrents. Cette politique n’a pas manqué de faire réagir au sein de l’organisation étant perçue comme une violation de la solidarité. Bien qu’elle ne soit pas contraire aux statuts de l’OPEP, elle affaiblit considérablement la cohésion de l’alliance.
Une montée des tensions depuis 1 an au sein de l’OPEP
Le lancement du Murban a donc tendance à affaiblir structurellement la cohésion de l’OPEP. En cela, ce contrat pétrolier représente un nouveau sujet de tensions entre les Émirats et l’organisation. Depuis le début de la pandémie, les deux parties s’opposent frontalement sur le niveau des quotas au sein du groupe. En novembre dernier, des rumeurs faisaient même état d’une sortie imminente des Émirats de l’OPEP.
Bien que rester infondées pour l’instant, ces rumeurs traduisent l’impatience des autorités émiraties vis-à-vis des choix de l’organisation. Pour les Émirats, le plafond alloué de 2,6 millions de barils par jour reste beaucoup trop élevé. La compagnie nationale, ADNOC, compte en effet produire près de 5 millions de barils de brut d’ici 2030. Le pays a même réalisé des investissements colossaux afin d’augmenter ses capacités d’exportation en contournant par exemple le détroit d’Hormuz.
Premier pas vers la sortie de l’OPEP ?
Cette volonté d’augmenter la production s’appuie directement sur l’ambition d’imposer le Murban comme principal benchmark dans la région. Pour Abu Dhabi, le quasi-doublement de la production vise à répondre à la demande attendue de ce pétrole brut. En prenant des parts de marchés à ses concurrents, ADNOC compte ainsi attirer la demande asiatique. L’Inde et la Chine notamment se montrent particulièrement intéressés par ce type de contrat flexible.
Cette ambition risque néanmoins de se trouver en porte à faux avec les politiques de quotas de production de l’OPEP. Un doublement de la production émiratie est même difficilement envisageable dans le cadre de l’organisation. En d’autres termes, la réussite de la stratégie des Émirats passera probablement par une rupture du pays avec l’alliance.
Ce choix se fera dès lors que les restrictions imposées par l’OPEP empêchent Abu Dhabi de devenir un hub pétrolier. Dès aujourd’hui, les tensions sont déjà fortes entre les deux parties, mais les Émirats ont décidé de rester dans l’organisation. Cette stratégie évoluera en fonction de la réussite du Murban comme benchmark pétrolier. Si celui-ci s’impose comme le contrat de référence, il est très probable que les Émirats décident de quitter l’OPEP.