Les exportations de gaz naturel américain vers le Mexique traversent une période de turbulences marquée par des interruptions opérationnelles et des dynamiques météorologiques inhabituelles. Les volumes exportés ont chuté de près de 6% en l’espace de deux mois, passant de 7,3 milliards de pieds cubes par jour (bcfd) en mai à 6,9 bcfd en juillet. Cette contraction intervient alors que le pays importe actuellement 74% de ses besoins gaziers totaux, une dépendance qui expose son économie aux fluctuations du marché nord-américain.
Infrastructure sous tension et maintenance critique
Le terminal de liquéfaction flottant Altamira FLNG1 illustre les défis opérationnels auxquels fait face le secteur. Les interruptions de maintenance programmées ont provoqué trois arrêts complets ou quasi-complets de la demande de gaz d’alimentation, perturbant significativement les exportations par pipeline depuis le sud du Texas. Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un contexte où la capacité de stockage stratégique mexicaine ne couvre que trois jours de consommation, créant une vulnérabilité systémique face aux interruptions d’approvisionnement.
Le développement du pipeline sous-marin Puerta al Sureste, d’une longueur de 715 kilomètres, devrait apporter un soulagement partiel d’ici mi-2025 avec une capacité de transport de 1,3 milliard de pieds cubes quotidiens. Cette infrastructure majeure s’ajoute aux 2,2 bcfd de capacité du pipeline NET Mexico récemment acquis par Kinder Morgan pour 1,8 milliard de dollars, témoignant des investissements massifs nécessaires pour sécuriser l’approvisionnement énergétique.
Dynamiques climatiques et production hydroélectrique
La saison des pluies exceptionnellement intense a modifié l’équilibre énergétique national en augmentant la disponibilité de l’hydroélectricité. Cette augmentation temporaire de la production hydraulique a permis de réduire la dépendance aux centrales à cycle combiné et aux turbines à gaz, contribuant directement à la baisse de la demande d’importations gazières. Le phénomène météorologique connu sous le nom de « la canícula » pourrait néanmoins inverser rapidement cette tendance lors des périodes de chaleur extrême à venir.
La production domestique de gaz sec mexicain a enregistré une hausse de 2% sur deux mois consécutifs, créant une compétition accrue avec les importations américaines. Cette augmentation reste toutefois fragile, la production nationale ne couvrant que 26% de la demande totale. Petróleos Mexicanos (Pemex) vise une production de 5 bcfd d’ici 2030, mais fait face à une réduction budgétaire de 7,5% pour 2025 malgré des objectifs de production augmentés de 9%.
Pressions tarifaires et compétitivité industrielle
Les écarts de prix avec le benchmark Henry Hub révèlent des tensions structurelles profondes. Les prix industriels mexicains de l’électricité dépassent de 70% ceux pratiqués aux États-Unis, compromettant la compétitivité manufacturière au moment où le nearshoring offre des opportunités de relocalisation industrielle. Cette disparité tarifaire s’aggrave lors des pics de demande, comme observé en 2021 lorsque le Mexique a payé 25,4% de plus que le prix de référence Henry Hub pour ses importations gazières.
Les nouvelles centrales à cycle combiné en cours de mise en service et les ajouts de capacité progressive établissent les fondations d’une demande gazière plus structurelle. La Comisión Federal de Electricidad (CFE) prévoit d’atteindre 59% de participation dans la génération électrique pour 2025, nécessitant des investissements supplémentaires de 333 milliards de pesos mexicains dans 35 nouveaux projets de génération totalisant près de 14 000 MW.
Transition énergétique et projets renouvelables
Le déploiement des énergies renouvelables progresse lentement avec une capacité installée de 35,42 GW en 2024, loin des 80 GW de solaire et 20 GW d’éolien nécessaires d’ici 2030 pour respecter les engagements climatiques internationaux. Au moins 30 projets éoliens restent suspendus faute de lignes de transmission adéquates, illustrant les contraintes infrastructurelles qui freinent la diversification énergétique. Le marché des centres de données, valorisé à 1,06 milliard de dollars en 2024 avec une projection de 2,27 milliards d’ici 2030, ajoute une pression supplémentaire sur la demande électrique.
Les projets de gaz naturel liquéfié (GNL) en développement pourraient transformer le Mexique d’importateur net en hub de réexportation. Le terminal Energía Costa Azul de Sempra Energy, avec une capacité de 0,4 bcfd prévue pour 2026, et le projet Saguaro Energía de Mexico Pacific Ltd avec 42 millions de tonnes par an planifiées, positionnent le pays comme pont stratégique entre les bassins de production nord-américains et les marchés asiatiques. Cette évolution pourrait paradoxalement augmenter la dépendance aux importations américaines tout en générant des revenus d’exportation.
Les réformes constitutionnelles récentes reclassifiant Pemex et CFE de « compagnies d’État productives » en « compagnies d’État publiques » modifient fondamentalement les règles de marché. Cette transformation garantit la priorité aux centrales CFE dans l’ordre de dispatch électrique indépendamment des coûts, limitant la participation privée à 46% maximum de la génération nationale. Les implications pour l’efficience du marché et l’attraction d’investissements privés restent incertaines alors que le gouvernement explore simultanément des partenariats mixtes avec le secteur privé pour développer les réserves non conventionnelles.