La Commission européenne finalise un projet de législation intitulé Industrial Decarbonisation Accelerator Act visant à soutenir la sidérurgie bas-carbone européenne par la création d’une demande captive. Ce texte prévoit notamment l’obligation d’intégrer un quota d’acier bas-carbone produit dans l’Union européenne dans les appels d’offres publics liés aux infrastructures et à la construction, ainsi que dans les véhicules bénéficiant de subventions.
Réforme commerciale et fin des sauvegardes
Parallèlement, Bruxelles envisage de remplacer le régime de sauvegarde actuel par un système de contingents tarifaires annuels de 18,3 Mt avec une taxe de 50 % au-delà des volumes autorisés, contre 25 % actuellement. Ce nouveau mécanisme serait calé sur les flux d’importation enregistrés entre 2022 et 2024 et appliqué de manière trimestrielle. Cette réforme commerciale s’inscrit dans la préparation de la fin des mesures transitoires en juin 2026.
Un troisième pilier énergétique complète l’ensemble avec l’entrée en vigueur de la réforme du marché de l’électricité début 2025 et l’appui de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour faciliter les Power Purchase Agreements (PPAs, contrats d’achat d’électricité à long terme) permettant de sécuriser le coût d’approvisionnement pour les aciéries électro-intensives utilisant des fours électriques ou des technologies à hydrogène comme le Direct Reduced Iron (DRI).
Compatibilité juridique et cadre international
L’initiative soulève des interrogations juridiques au regard de l’Accord sur les marchés publics (GPA) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en raison de la préférence donnée aux produits d’origine européenne. Pour limiter le risque de contentieux, Bruxelles pourrait introduire des critères fondés sur la performance environnementale, tels que les seuils d’émissions ou le label Low Emission Steel Standard (LESS), au lieu d’exiger une provenance géographique explicite.
Les aides d’État sont également encadrées. Des allègements ciblés sur la facture électrique sont envisagés pour les producteurs électro-intensifs, mais soumis à des conditions strictes d’investissement et de plafonnement. À cela s’ajoute la compatibilité avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), dont la phase définitive démarre le 1er janvier 2026, obligeant les importateurs d’acier à acheter des certificats proportionnels aux émissions associées.
Impact sur les prix, contrats et investissement
Les prix de l’acier bas-carbone devraient intégrer une prime durable en raison de la demande induite par les quotas publics. Les prix de référence du Hot Rolled Coil (HRC) en Europe sont actuellement autour de €610/t dans la Ruhr, tandis que les produits utilisant le DRI et les fours électriques affichent une prime liée à leur moindre empreinte carbone. Les industriels engagés dans la décarbonation pourraient sécuriser des contrats d’approvisionnement long terme allant jusqu’à 15 ans, notamment via des carbon contracts for difference.
Les investissements nécessaires à la conversion industrielle – électrification des procédés, mise en place de fours EAF (Electric Arc Furnace) et DRI à hydrogène, captation du CO₂ – exigent une forte visibilité. La commande publique « verte » devient alors un levier central pour garantir des taux d’utilisation suffisants et éviter les actifs échoués.
Répercussions géopolitiques et commerciales
L’instauration des quotas et des droits additionnels pourrait provoquer des tensions avec plusieurs partenaires commerciaux majeurs comme la Chine, la Turquie, l’Inde et le Royaume-Uni, dont l’accès au marché européen serait restreint. La Russie reste exclue du marché européen en raison de l’embargo sur l’acier imposé dans le cadre des sanctions économiques.
En interne, l’absence d’un standard harmonisé au sein de l’Union européenne expose le système à un risque de fragmentation réglementaire, chaque État pouvant définir ses propres critères d’éligibilité. Une norme unique s’impose pour éviter des concurrences internes déséquilibrées et préserver l’unité du marché.