Les objectifs européens en matière de stockage de carbone rencontrent un écart considérable entre l’ambition politique et les capacités industrielles. Une analyse menée par le cabinet de conseil Wood Mackenzie indique que l’Union européenne ne disposera que de 28,5 millions de tonnes par an (mtpa) de capacité d’injection de CO₂ d’ici 2030, contre les 50 mtpa requis par l’Article 23 du Net Zero Industry Act adopté en 2024.
Un retard alimenté par les lenteurs réglementaires
Le rapport, commandité par ExxonMobil, OMV Petrom, Shell et TotalEnergies, met en évidence les retards systémiques dans le développement des projets et les obstacles réglementaires persistants. Si l’on exclut les projets qui n’ont pas encore reçu de licence, la capacité réelle disponible pourrait être encore plus faible. Actuellement, aucun projet de stockage à grande échelle n’est opérationnel au sein de l’UE. Les projets ayant reçu une décision finale d’investissement ne permettront de stocker que 2,9 mtpa d’ici 2030.
Selon Wood Mackenzie, le développement d’un site de stockage prend en moyenne huit ans, depuis l’obtention d’une licence jusqu’au début de l’exploitation. Cela implique que seuls les projets ayant obtenu une autorisation d’exploration ou d’évaluation avant 2023 sont encore en mesure de respecter l’échéance de 2030. À cette date, seulement 15,6 mtpa de capacité étaient suffisamment avancés.
Un environnement économique peu favorable à l’investissement
Les projets sont également confrontés à une rentabilité insuffisante. Le prix moyen du carbone sur le marché européen en 2024, estimé à $70 par tonne, reste inférieur au coût moyen du captage et du stockage du carbone selon les modélisations de Wood Mackenzie. En l’absence d’incitations financières robustes, les développeurs doivent souvent recourir à plusieurs sources de financement pour sécuriser leurs investissements.
L’éloignement géographique entre les sites de captage et les stockages disponibles aggrave les coûts d’infrastructure. Le transport du CO₂ représente une part significative des investissements nécessaires, complexifiant encore davantage la chaîne de valeur pour les projets en cours de planification.
Des projets avancés également touchés par les retards
Même les initiatives les plus avancées rencontrent des retards. Le projet Liverpool Bay au Royaume-Uni et celui de Porthos aux Pays-Bas ont tous deux été ralentis malgré un soutien public important. Les délais moyens s’élèvent désormais à plus de 1,5 an, en raison de contraintes techniques, juridiques ou commerciales.
Les procédures d’attribution de licences peinent à suivre la dynamique industrielle. À ce jour, seule l’Italie exploite un projet pilote de stockage. Aux Pays-Bas, considérés comme l’un des marchés les plus avancés en Europe, seules deux licences ont été attribuées. Des projets comme Aramis ou Porthos ont été affectés par des recours juridiques, compromettant leur calendrier initial.
Révision potentielle des cibles européennes en 2028
L’étude suggère que les objectifs de l’Union fixés par le Net Zero Industry Act pourraient faire l’objet d’une révision lors de l’évaluation prévue par la Commission européenne en 2028. Malgré un cadre politique jugé favorable, l’incertitude sur la rentabilité des projets reste un obstacle majeur pour les opérateurs du secteur.
« Les ambitions de stockage de carbone de l’UE se heurtent aux réalités commerciales et techniques », a déclaré Jon Story, Vice-président Energy Consulting et responsable du consulting sur le captage et le stockage de carbone chez Wood Mackenzie.