La Commission européenne a annoncé lundi 4 août la suspension pour six mois de ses contre-mesures tarifaires de 93 milliards d’euros qui devaient entrer en vigueur le 7 août contre les États-Unis. Cette décision intervient alors que Bruxelles et Washington s’efforcent de finaliser les termes de leur accord commercial conclu le 27 juillet entre Ursula von der Leyen et Donald Trump. Le porte-parole de la Commission pour le commerce, Olof Gill, a confirmé que l’Union européenne (UE) poursuivait ses négociations avec les États-Unis pour concrétiser une déclaration conjointe, tout en soulignant que cette suspension visait à restaurer la stabilité et la prévisibilité pour les citoyens et les entreprises des deux côtés de l’Atlantique.
L’accord-cadre prévoit l’application d’un tarif unique de 15% sur la plupart des biens européens exportés vers les États-Unis, incluant notamment le secteur automobile qui voit ses droits de douane réduits de 27,5% à 15%. Cette mesure représente néanmoins une augmentation substantielle par rapport au taux moyen de 1,2% en vigueur avant la présidence Trump. Les secteurs de l’aéronautique et certains produits chimiques bénéficient d’exemptions, tandis que les tarifs sur l’acier et l’aluminium restent maintenus à 50%.
Impact économique majeur sur les deux économies
Les projections économiques révèlent des conséquences significatives pour les deux blocs commerciaux. Le produit intérieur brut (PIB) européen devrait se contracter de 0,3% tandis que l’économie américaine pourrait subir une baisse plus marquée de 0,7% dans un scénario sans accord définitif. L’Allemagne, première économie européenne fortement dépendante des exportations, fait face à une contraction anticipée de 0,4% de son PIB. Les ménages américains supporteront un coût supplémentaire moyen de 1 300 dollars en 2025, avec des hausses de prix particulièrement prononcées dans l’habillement (+38%), l’automobile (+12% soit 5 800 dollars de plus par véhicule neuf) et l’alimentation (+3,3%).
L’impact sur l’emploi s’annonce également préoccupant avec une perte potentielle de 497 000 postes aux États-Unis d’ici fin 2025 et une hausse du taux de chômage de 0,7 point de pourcentage d’ici fin 2026. L’Irlande apparaît comme le pays européen le plus vulnérable en termes d’emploi, suivie par l’Italie, particulièrement exposée dans les secteurs du transport et de la mode.
Engagements financiers colossaux et divisions européennes
L’accord comprend des engagements financiers massifs de la part de l’UE : 750 milliards de dollars d’achats de produits énergétiques américains (gaz naturel liquéfié, pétrole et combustibles nucléaires) répartis sur trois ans, ainsi que 600 milliards de dollars d’investissements supplémentaires aux États-Unis d’ici 2028. Ces montants soulèvent des interrogations quant à leur faisabilité, l’UE n’ayant pas autorité pour contraindre les entreprises privées à effectuer de tels achats. La Commission européenne a d’ailleurs souligné le caractère politique et « non juridiquement contraignant » de cet accord.
Les divisions au sein des États membres restent palpables. Si l’Allemagne se montre favorable à un accord rapide pour protéger son industrie automobile, la France critique vivement le caractère « déséquilibré » de l’entente. Le Premier ministre français François Bayrou a qualifié l’accord de « jour sombre » pour l’Europe, accusant Bruxelles d’avoir cédé face au président américain. Les Pays-Bas adoptent une position pragmatique tandis que l’Italie considère le taux de 15% comme « soutenable » pour son économie.
Secteurs stratégiques sous haute tension
Le secteur pharmaceutique, représentant 127 milliards de dollars d’importations américaines depuis l’UE en 2024, demeure dans l’incertitude avec une investigation Section 232 en cours qui pourrait aboutir à des tarifs supplémentaires. Cette situation génère des coûts potentiels de 100 millions de dollars par jour en nouveaux tarifs pour les entreprises américaines. L’Irlande se trouve particulièrement exposée, les exportations pharmaceutiques représentant 55% de ses exportations totales vers les États-Unis. Les médicaments populaires pour la perte de poids comme l’Ozempic et le Wegovy, utilisant la sémaglutide produite par Novo Nordisk, figurent parmi les produits potentiellement impactés.
L’industrie automobile européenne fait face à des défis considérables malgré la réduction tarifaire obtenue. Les constructeurs BMW, Mercedes-Benz, Volkswagen et Volvo, qui réalisent une part significative de leurs ventes aux États-Unis, devront absorber des coûts supplémentaires substantiels. Le secteur des machines et équipements, incluant 37 milliards de dollars d’instruments médicaux importés, reste également sous pression.
Arsenal de rétorsion européen en attente
Bruxelles maintient en réserve un arsenal conséquent de mesures de rétorsion. Au-delà des 21 milliards d’euros de contre-mesures suspendues jusqu’au 6 août, la Commission a préparé une seconde série de tarifs ciblant 72 milliards d’euros de produits américains, incluant 11 milliards d’euros d’avions et pièces détachées, ainsi que des produits emblématiques comme le bourbon, les jeans et les motos Harley-Davidson. L’instrument anti-coercition, considéré comme l’option nucléaire commerciale de l’UE, reste sur la table des négociations avec un soutien croissant des États membres pour son déploiement potentiel.
Le décret exécutif américain du 31 juillet confirmant l’application du tarif de 15% à partir du 8 août établit que ce taux inclut les taux de la nation la plus favorisée existants, évitant ainsi un empilement tarifaire au-delà du plafond de 15%. Cette mesure offre un allègement tarifaire immédiat par rapport aux droits annoncés le 2 avril, mais représente néanmoins une augmentation historique du taux tarifaire effectif moyen américain à 18,3%, le niveau le plus élevé depuis 1934.
Les négociations se poursuivent dans un contexte où le déficit commercial américain avec l’UE atteignait 235,6 milliards de dollars en 2024. Les incertitudes persistent notamment sur les modalités concrètes de mise en œuvre des engagements financiers européens et la durée réelle de l’accord au-delà de la suspension initiale de six mois. Le risque de détournement des exportations chinoises vers le marché européen et la fragmentation accrue des chaînes d’approvisionnement mondiales ajoutent une complexité supplémentaire à l’équation commerciale transatlantique.