La suspension par l’Iran de ses exportations d’électricité vers l’Irak a privé Bagdad d’environ 1 400 mégawatts (MW), soit près de 10 % de la consommation nationale en période de pointe. Cette coupure s’ajoute aux pénuries récurrentes de l’été, alors que les températures dépassent 48 °C dans plusieurs provinces irakiennes. En parallèle, la demande interne iranienne a atteint un pic de 77 gigawatts (GW), un niveau historique supérieur à la capacité effective du pays, estimée à environ 85 GW installés mais seulement 65 à 70 GW disponibles en raison des pannes et du vieillissement des infrastructures.
Un marché irakien structurellement dépendant
L’Irak consomme en moyenne 24 000 MW pendant l’été, mais sa capacité domestique effective ne dépasse pas 18 000 MW, laissant un déficit structurel de 6 000 MW comblé par les importations et les générateurs privés. Historiquement, l’Iran fournissait jusqu’à 1 200 à 1 500 MW d’électricité et 40 millions de mètres cubes de gaz par jour, représentant ensemble plus de 40 % des besoins en électricité irakiens. Avec la suspension actuelle, Bagdad perd un pilier essentiel de son équilibre énergétique, rendant les coupures quasi inévitables dans les grandes villes.
L’impact direct sur le réseau irakien
La coupure iranienne a immédiatement réduit la fréquence du réseau irakien, déjà instable, provoquant une panne nationale début août. Des provinces comme Bassora, Dhi Qar et Bagdad ont signalé des interruptions de 6 à 12 heures par jour. Selon le ministère irakien de l’Électricité, les pertes techniques atteignent 40 % du courant produit ou importé, en raison des fuites, des vols d’électricité et du réseau vétuste. Cette inefficacité structurelle signifie que chaque MW perdu du côté iranien se traduit par un déficit plus important côté irakien.
Un contexte marqué par les sanctions américaines
En mars 2025, les États-Unis ont levé l’exemption qui permettait à l’Irak de régler ses importations d’électricité iranienne en dollars via des comptes bloqués. Seules les livraisons de gaz bénéficient encore d’une dérogation. Selon des sources gouvernementales irakiennes, plus de 10 milliards de dollars de factures cumulées envers l’Iran restent impayés. Pour Téhéran, l’absence de paiement pèse autant que la hausse de la consommation interne dans la décision de suspendre les livraisons. Cette dimension financière, combinée aux sanctions, complique tout rétablissement rapide des flux.
Les alternatives de Bagdad : interconnexions et nouveaux accords
Pour réduire sa vulnérabilité, Bagdad mise sur des projets d’interconnexion régionale. Le raccordement au Conseil de Coopération du Golfe (CCG) via une ligne de 400 kilovolts (kV) reliant le Koweït à Bassora doit permettre d’acheminer 500 à 600 MW d’ici la fin de l’année. L’infrastructure, financée à hauteur de 220 millions de dollars, est achevée à plus de 75 %. En parallèle, un projet séparé avec l’Arabie saoudite prévoit 1 000 MW supplémentaires à moyen terme, tandis qu’un accord avec la Jordanie vise 150 MW en 2026, extensibles à 900 MW d’ici 2030. La Turquie, de son côté, a doublé ses livraisons vers l’Irak, atteignant 800 MW en juillet, mais ces volumes restent marginaux au regard du déficit global.
Un système iranien sous tension extrême
En Iran, la consommation électrique a bondi de 10 % par rapport à l’été précédent, principalement en raison de l’usage intensif de la climatisation. Les pertes techniques du réseau sont estimées à 15 %, soit environ 11 GW perdus en ligne, l’équivalent de la consommation d’un pays comme le Portugal. À cette fragilité s’ajoute le poids du minage de cryptomonnaies, qui consommerait entre 2 et 3 GW selon des estimations locales, soit l’équivalent de deux réacteurs nucléaires. Les autorités ont saisi plus de 250 000 machines de minage depuis 2021, mais le phénomène reste difficile à éradiquer.
Plans et ambitions de Téhéran
Le ministère iranien de l’Énergie a présenté un plan pour porter la capacité renouvelable à 7 GW d’ici mars 2026, contre 1,8 GW actuellement. Parmi les projets en cours figurent 850 centrales solaires totalisant environ 5 000 MW, avec un investissement prévu de 3 milliards de dollars mobilisés en partenariat public-privé. Le gouvernement a aussi annoncé un programme de rénovation de 20 centrales thermiques afin de convertir des unités à cycle simple en cycle combiné, avec un gain attendu de 5 000 MW. Malgré ces initiatives, la faisabilité reste incertaine compte tenu des sanctions internationales qui limitent l’accès aux turbines et équipements occidentaux.
Une équation régionale instable
L’équilibre électrique au Moyen-Orient reste fragile. L’Iran doit choisir entre alimenter ses voisins et éviter les coupures internes, tandis que l’Irak cherche à diversifier ses sources sans solution immédiate. Les projets d’interconnexion régionale – estimés à plus de 5 GW cumulés à horizon 2030 – traduisent la volonté de Bagdad de réduire une dépendance qui expose son économie et sa stabilité sociale. Pour les acteurs du marché énergétique, ces évolutions redessinent la carte des flux régionaux et pourraient ouvrir un espace accru aux producteurs du Golfe, au détriment de Téhéran.