L’Inde a construit en quelques années une capacité de production de modules photovoltaïques atteignant près de 120 GW, selon les chiffres officiels publiés en octobre 2025. Ce volume dépasse largement la demande intérieure annuelle, estimée entre 45 et 50 GW, générant un ratio de surcapacité d’environ trois pour un. Cette situation, amplifiée par une chute mondiale de plus de 50 % des prix depuis 2022, met sous pression les marges et déclenche une phase de consolidation.
Un paysage industriel polarisé par l’intégration verticale
La politique de soutien industriel, fondée sur l’ALMM (Approved List of Models and Manufacturers) et les subventions PLI (Production-Linked Incentive), a favorisé l’émergence d’acteurs intégrés comme Reliance, Adani ou Waaree Energies. Ces groupes couvrent plusieurs étapes de la chaîne de valeur – cellules, wafers et parfois polysilicium – leur permettant de mieux absorber les chocs de marché. À l’inverse, les assembleurs de taille moyenne, souvent limités à des lignes PERC plus anciennes, sont exclus de ces avantages, et apparaissent comme les premières cibles d’exit ou de restructuration.
Un mur tarifaire tourné vers l’intérieur et l’export
Les autorités indiennes, via le ministère des Énergies nouvelles et renouvelables (MNRE) et le ministère de l’Énergie (MOP), ont instauré des droits de douane jusqu’à 30 % sur les importations chinoises, tout en subventionnant jusqu’à 39,6 GW de capacité nationale via le programme PLI. Ce dispositif vise à créer une base industrielle robuste, mais introduit un déséquilibre structurel si l’accès aux marchés étrangers se restreint.
L’étau réglementaire américain resserre la pression
Les enquêtes menées par le Department of Commerce (DoC) et la Customs and Border Protection (CBP) aux États-Unis, notamment contre Waaree Energies, réduisent les débouchés à l’export. Le durcissement du régime AD/CVD (anti-dumping/countervailing duties) et les exigences sur la traçabilité des composants chinois compromettent la stratégie indienne de substitution à la Chine sur les marchés occidentaux. Certains fabricants pourraient être soumis à des droits rétroactifs, voire à des interdictions de livraison.
Des lignes de production sous obsolescence accélérée
La transition vers des technologies avancées comme les cellules TOPCon, les modules bifaciaux et les wafers grand format exige des investissements importants. Les incitations du PLI ciblent précisément les groupes capables de s’engager dans cette montée en gamme. Les producteurs opérant encore des lignes PERC, désormais considérées comme techniquement dépassées, risquent de voir leurs actifs devenir inexploitables sans recapitalisation.
Un repositionnement géopolitique sous surveillance
En pariant sur une relocalisation des chaînes d’approvisionnement américaines et européennes hors de Chine, l’Inde visait une place centrale dans la chaîne solaire mondiale. Toutefois, les tensions commerciales croissantes, les restrictions douanières américaines et la dépendance persistante au polysilicium chinois compromettent ce positionnement. La perspective d’un renforcement des mesures européennes de type CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) ajoute une incertitude supplémentaire.
Conséquences attendues pour le secteur
Les grands groupes intégrés devraient sécuriser la majorité des contrats domestiques et internationaux, notamment dans les régions alignées avec New Delhi (Asie du Sud, Afrique de l’Est, Moyen-Orient). À l’inverse, les assembleurs non intégrés sont confrontés à un triple mur : perte de compétitivité, coûts d’adaptation élevés et accès restreint aux financements bancaires. Le marché pourrait ainsi évoluer vers un oligopole structuré autour de quelques champions nationaux.
La dynamique de consolidation annoncée est renforcée par les signaux émis par les agences de notation comme ICRA, qui anticipent une rationalisation du secteur sur un horizon de trois à cinq ans. « La rentabilité des OEM est sous pression, une restructuration rapide est probable », selon leur dernier rapport publié en 2025.