Alors que la demande en énergie de l’Indonésie continue d’augmenter en lien avec sa croissance économique rapide, le pays se tourne vers le nucléaire pour sécuriser sa fourniture énergétique à long terme. Le gouvernement indonésien prévoit de développer jusqu’à 10 gigawatts (GW) de capacité nucléaire à l’horizon 2040, intégrant ainsi l’atome dans son portefeuille énergétique national qui repose actuellement fortement sur les énergies fossiles, notamment le charbon et le gaz naturel. Ce choix s’inscrit dans une politique plus large visant à diversifier les sources d’énergie du pays, à réduire sa dépendance vis-à-vis des combustibles importés, et à répondre aux objectifs ambitieux fixés par Jakarta en matière de réduction des émissions carbone. Pour réaliser ce plan, l’Indonésie a ouvert des discussions approfondies avec plusieurs acteurs internationaux majeurs dans le domaine du nucléaire.
Des acteurs internationaux clés sollicités
Plusieurs sociétés mondiales ont entamé des discussions avec les autorités indonésiennes, parmi lesquelles le géant russe Rosatom, China National Nuclear Corporation (CNNC), l’entreprise britannique Rolls-Royce, la compagnie française Électricité de France (EDF) et l’américaine NuScale Power, spécialiste des petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors, SMR). L’intérêt de ces entreprises internationales porte principalement sur la construction et l’exploitation de centrales nucléaires capables de répondre aux spécificités géographiques et sismiques de l’archipel indonésien. Le gouvernement n’a pas encore décidé des sites précis pour les futures installations, bien que plusieurs régions soient actuellement à l’étude. Parmi les principaux défis évoqués figurent les considérations de sécurité en raison de la position géographique du pays sur la Ceinture de Feu du Pacifique, une zone particulièrement exposée aux tremblements de terre.
Pour le moment, les discussions restent à un stade préliminaire, mais le gouvernement souhaite avancer rapidement pour que les premiers contrats puissent être signés dans les cinq prochaines années. L’agence de régulation nucléaire indonésienne, Badan Pengawas Tenaga Nuklir (BAPETEN), supervise d’ores et déjà les premières démarches réglementaires initiées par certains candidats, tels que ThorCon Power Indonesia. Cette dernière a récemment soumis à BAPETEN une demande de licence afin d’implanter un réacteur innovant basé sur la technologie des réacteurs à sels fondus (Molten Salt Reactor, MSR), perçue comme particulièrement adaptée aux contraintes environnementales locales.
Stratégie énergétique à l’horizon 2040
La décision du gouvernement indonésien s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme visant à augmenter sa capacité énergétique totale de 103 GW supplémentaires d’ici 2040. Sur ce total, le nucléaire représentera environ 10 %, tandis que les énergies renouvelables, notamment solaire, éolienne, géothermique et biomasse, constitueront près de 75 GW, soit environ 73 % des nouvelles capacités prévues. Le gaz naturel complètera ce plan ambitieux avec une capacité supplémentaire estimée à 18 GW.
Cette approche combinée permettrait à l’Indonésie de poursuivre sa croissance économique tout en réduisant progressivement la place du charbon, qui représente aujourd’hui environ 60 % de la production d’électricité nationale. En réduisant sa dépendance aux importations de combustibles fossiles, Jakarta espère non seulement sécuriser son approvisionnement énergétique, mais aussi stabiliser les prix de l’énergie pour ses consommateurs industriels et domestiques. En effet, la volatilité des prix internationaux du charbon et du gaz naturel a régulièrement perturbé les plans économiques du pays ces dernières années.
Défis économiques et technologiques
Bien que le potentiel économique du nucléaire soit attractif pour l’Indonésie, la réalisation effective de ce programme devra franchir plusieurs étapes cruciales. L’un des premiers défis sera de mobiliser les financements nécessaires à ces investissements majeurs, qui pourraient représenter plusieurs dizaines de milliards de dollars sur une période de 15 à 20 ans. Le gouvernement indonésien explore actuellement diverses options financières, incluant des partenariats public-privé (PPP) ainsi que des accords bilatéraux avec les pays disposant de technologies nucléaires avancées.
Le second défi sera technologique, avec la nécessité d’adapter les infrastructures nucléaires aux particularités géologiques et climatiques de l’archipel indonésien. Les technologies innovantes telles que les réacteurs modulaires et les réacteurs à sels fondus pourraient offrir une solution appropriée, réduisant à la fois les risques sismiques et les coûts initiaux de construction. Les entreprises étrangères impliquées espèrent démontrer rapidement la viabilité technique et économique de leurs modèles afin d’obtenir une position avantageuse dans ce marché émergent.
Perspectives régionales et internationales
La transition énergétique indonésienne vers le nucléaire pourrait aussi modifier les dynamiques régionales en matière d’énergie en Asie du Sud-Est. Le développement de capacités nucléaires importantes dans le pays le plus peuplé et économiquement dynamique de la région serait susceptible d’encourager d’autres pays voisins à considérer sérieusement cette option. Cette évolution pourrait ainsi ouvrir de nouvelles opportunités pour les fournisseurs internationaux d’équipements et de services nucléaires.
Par ailleurs, la communauté internationale observera attentivement l’évolution de ce programme, notamment sur la capacité du pays à respecter les normes de sécurité nucléaire et à gérer les risques liés à la gestion des déchets radioactifs. Si le modèle indonésien réussit, il pourrait devenir un cas d’étude pour d’autres économies émergentes confrontées aux mêmes défis énergétiques et économiques, renforçant potentiellement le rôle du nucléaire dans la transition énergétique mondiale.