L’Inde a annoncé un plafond de capacité de production électrique à base de charbon fixé à 307 gigawatts (GW) pour l’horizon 2035, verrouillant ainsi les projets en cours sans signaler de stratégie de sortie. Cette décision prolonge la trajectoire actuelle de développement thermique, tout en restant compatible avec l’objectif de 500 GW de capacités non fossiles d’ici 2030.
Le niveau retenu représente une augmentation d’environ 45 % par rapport aux 212 GW recensés en mars 2023. Il comprend près de 97 GW de projets identifiés, en construction ou planifiés, concentrés dans les États à forte dépendance minière. Aucune décision n’a été arrêtée à ce stade concernant des ajouts supplémentaires au-delà de cette échéance.
Une réglementation nationale encore souple
Le plateau fixé s’inscrit dans la trajectoire du National Electricity Plan 2023, qui prévoit déjà une montée progressive du charbon jusqu’à environ 283 GW en 2031-32. Le Central Electricity Authority (CEA) a recommandé de ne retirer aucune centrale existante avant 2030, prolongeant ainsi la durée d’exploitation des unités en place sans obligation réglementaire de fermeture.
Les normes d’émissions atmosphériques pour les centrales au charbon, notamment concernant les oxydes de soufre (SO₂), restent peu appliquées. Plusieurs reports successifs ont réduit les contraintes financières immédiates pour les exploitants, mais font peser un risque de durcissement réglementaire à moyen terme.
Un système de conformité en transition
À partir de 2026, l’Inde prévoit de déployer un système de crédits de carbone (CCTS) qui introduira progressivement un signal prix sur les émissions de gaz à effet de serre. Les nouvelles unités thermiques non équipées de technologies de captage pourraient en supporter un coût élevé. En parallèle, les producteurs indépendants d’électricité (IPP) seront exposés à une complexité accrue dans leurs projections de rentabilité.
Les exportateurs industriels indiens pourraient également subir des effets indirects. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) mis en œuvre par l’Union européenne créera une pression réglementaire pour que les industriels basculent vers des sources d’électricité décarbonées, accentuant le besoin d’arbitrage entre électricité fossile et renouvelable.
Incertitudes post-2035 pour les investisseurs
Sur le plan financier, la stabilisation à 307 GW crée une visibilité jusqu’en 2035, mais rend incertain tout nouveau projet après cette échéance. Les institutions publiques de financement telles que Power Finance Corporation (PFC) et Rural Electrification Corporation (REC) devront intégrer dans leurs modèles de crédit les risques réglementaires liés à une potentielle reclassification du charbon après 2035.
Par ailleurs, l’absence actuelle de mécanismes explicites de rémunération de capacité, combinée à une baisse prévue du facteur de charge en raison de la pénétration accrue des renouvelables, fragilise les perspectives de rentabilité des futures unités. Sans réforme tarifaire, ces centrales pourraient ne pas couvrir leurs coûts fixes.
Impact différencié selon les acteurs et territoires
La fixation d’un plafond sans calendrier de fermeture permet d’éviter une confrontation directe avec les États producteurs de charbon tels que le Jharkhand, l’Odisha ou le Chhattisgarh. Ces régions conservent ainsi un horizon de revenus miniers garanti, les exonérant pour l’instant de développer des stratégies locales de reconversion.
Les acteurs privés, notamment Adani Power ou Tata Power, devront arbitrer entre des investissements thermiques encore soutenus par les autorités et le développement de capacités renouvelables plus compatibles avec les exigences des bailleurs internationaux. Les utilities publiques, de leur côté, concentreront leurs efforts sur la sécurisation de contrats d’achat à long terme, dans un cadre contractuel fragmenté entre fédéral et États.