L’Agence internationale de l’énergie (IEA) a réintroduit dans son World Energy Outlook 2025 un scénario baptisé « Current Policies Scenario » (CPS), rompant avec les trajectoires plus volontaristes promues ces dernières années. Ce cadre prospectif, fondé uniquement sur les politiques en vigueur, anticipe une demande pétrolière qui ne connaît pas de pic avant 2050, avec un seuil supérieur à 100 millions de barils par jour maintenu à long terme. Cette inflexion contraste avec le scénario « Stated Policies Scenario » (STEPS), qui projette un plateau autour de 2030.
Réglementations divergentes et incertitudes géopolitiques
Aux États-Unis, le retrait officiel de l’Accord de Paris, acté par l’Executive Order 14162, combiné au recentrage sur la doctrine « Unleashing American Energy », affaiblit la dynamique réglementaire fédérale en matière d’énergies propres. Les États et les dispositifs fiscaux hérités de l’Inflation Reduction Act (IRA) demeurent actifs, mais ne suffisent pas à stabiliser les anticipations internationales, en particulier pour les véhicules électriques et les énergies renouvelables.
Dans l’Union européenne, le renforcement des sanctions contre la Russie, avec notamment l’interdiction progressive du gaz naturel liquéfié (GNL) russe dès 2026, redirige les flux vers la Norvège, les États-Unis, l’Afrique et le Moyen-Orient. L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) aux États-Unis renforce simultanément la pression sur les exportations iraniennes, rendant plus risqués et coûteux les flux pétroliers issus de la flotte dite « shadow fleet ».
Tensions d’offre, prix durables et arbitrages CAPEX
Selon l’IEA, répondre à la demande dans le scénario CPS suppose plus de 25 millions de barils par jour de nouveaux projets sur la prochaine décennie. Les zones à bas coût comme le Moyen-Orient, le bassin permien, le pré-sal brésilien ou la Guyane sont identifiées comme prioritaires. Les compagnies pétrolières doivent arbitrer entre cycles courts, projets à rentabilité rapide et exposition aux juridictions à faible risque de conformité.
Dans ce contexte, les prix du baril pourraient dépasser les 100 $ d’ici 2050, avec une volatilité cyclique alimentée par les chocs géopolitiques et les décalages d’investissement. Le secteur du GNL anticipe une hausse de 50 % de l’offre mondiale d’ici 2030, portée par les capacités du Qatar, des États-Unis et les nouveaux contrats long terme indexés gaz.
Impacts industriels et recomposition des flux pétroliers
Le segment downstream, notamment les raffineries et la pétrochimie, s’appuie sur une demande robuste en naphta et gaz de pétrole liquéfié (LPG) dans les économies émergentes. Les marges sur le diesel et le kérosène restent soutenues, particulièrement hors Chine, mais sont affectées par les gains d’efficacité et les changements réglementaires.
Les véhicules électriques et les équipements électriques, freinés par le ralentissement américain, bénéficient partiellement du soutien indien et chinois. Toutefois, l’IEA avertit que l’écart croissant entre la demande électrique et la capacité bas carbone pourrait engendrer une recarbonation marginale dans certaines zones.
Conséquences stratégiques pour les entreprises et États producteurs
Les compagnies à coûts bas, notamment les entreprises nationales pétrolières du Golfe et certains producteurs offshore d’Amérique latine, sécurisent leur carnet de commandes. Les producteurs de pétrole de schiste américains profitent du cycle, tout en restant sensibles aux écarts de qualité et aux politiques d’exportation.
Sur le plan géopolitique, la montée en puissance des capacités GNL qataries et américaines modifie les équilibres de sécurité énergétique pour l’Europe et l’Asie. La segmentation du marché due aux sanctions contre la Russie et l’Iran crée un différentiel de conformité, avec des coûts accrus pour les assureurs et les armateurs. L’IEA estime par ailleurs que l’objectif de limitation à 1,5 °C devient hors d’atteinte dans le scénario CPS, ce qui alimente les tensions entre pays producteurs et instances internationales.