La crise politique en Libye s’intensifie avec la fuite de Seddiq el-Kebir, gouverneur de la Banque Centrale de Libye (BCL), après avoir reçu des menaces directes de groupes armés. Dans une interview au Financial Times, el-Kebir décrit un climat de terreur où des milices harcèlent les employés de la BCL, enlevant même leurs enfants et proches pour les forcer à revenir au travail. Cette situation survient alors que la Libye reste divisée entre le gouvernement de Tripoli, dirigé par Abdelhamid Dbeibah et soutenu par l’ONU, et une administration parallèle à l’est, alliée au maréchal Khalifa Haftar.
En réponse au départ d’el-Kebir, les autorités de Tripoli mettent en place une « commission de passation de pouvoirs » pour prendre le contrôle des locaux de la BCL à Tripoli. En réaction, l’administration de l’Est, qui contrôle près de 90 % de la production pétrolière du pays, annonce une suspension des exportations et de la production. Ce blocus fait chuter la production quotidienne de pétrole à environ 600 000 barils par jour, selon la National Oil Corporation (NOC), contre 1,18 million de barils en juillet.
Répercussions économiques du blocus pétrolier
Le blocus pétrolier en Libye réduit drastiquement la production nationale, affectant directement les revenus de l’État et le marché régional du pétrole. La NOC rapporte que les fermetures ont provoqué une chute de 63 % de la production totale du pays, entraînant des pertes importantes de revenus pour un pays dont l’économie est fortement dépendante du secteur pétrolier. Les champs de Sarir, Messla et Nafoura, qui jouent un rôle clé dans l’approvisionnement du pays, reçoivent des ordres de reprise partielle de la production. Cette décision, émise par l’Arabian Gulf Oil Company, reflète une tentative de stabilisation, mais le climat reste tendu.
Le port de Hariga, essentiel pour les exportations de brut libyen, a arrêté ses opérations en raison de la pénurie de pétrole brut. Pendant ce temps, Abdel Fattah Ghaffar, nommé gouverneur par intérim de la BCL, annonce que les opérations bancaires reprennent après des perturbations provoquées par l’administration sortante. Il assure au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale que la BCL respectera toutes les législations nationales et internationales en vigueur, tentant de restaurer la confiance des investisseurs internationaux.
Réactions de la communauté internationale et tensions persistantes
La situation critique de la BCL attire l’attention de la communauté internationale. La Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et les États-Unis mettent en garde contre un risque d’effondrement économique si la crise n’est pas résolue rapidement. La délégation européenne en Libye exprime sa « sérieuse préoccupation » et appelle à une « solution négociée » tout en insistant sur la levée de « l’état de force majeure sur tous les gisements pétroliers » pour assurer la stabilité économique.
Les tensions au sein de la BCL reflètent des divisions plus larges entre les factions politiques libyennes. Tripoli accuse el-Kebir d’avoir favorisé les intérêts de l’Est et du clan Haftar dans la répartition des revenus pétroliers. De leur côté, les partisans de l’Est considèrent la prise de contrôle de la BCL par Tripoli comme une manœuvre illégale, violant les accords négociés sous l’égide de l’ONU.
Conséquences sur le marché méditerranéen et stratégies régionales
L’absence de brut libyen sur le marché méditerranéen oblige les raffineries à rechercher des alternatives, notamment les bruts caspiens comme le CPC Blend du Kazakhstan et l’Azeri BTC. Les traders rapportent que les prix des bruts de la mer Caspienne montent, les primes pour le CPC Blend se resserrant à moins de 30 cents par baril par rapport au Brent daté, contre près de 2 dollars de réduction au début du mois. Les prix de l’Azeri BTC franchissent les 4 dollars par baril en raison d’une demande accrue, exacerbée par les interruptions de production en Libye.
Les exportations de CPC Blend devraient atteindre environ 1,3 million de barils par jour en septembre, mais une réduction est anticipée en octobre en raison de travaux de maintenance au champ pétrolier de Kashagan, ce qui pourrait accentuer les tensions sur le marché méditerranéen du brut léger.
Défis pour la gouvernance de la BCL et l’économie libyenne
Le contrôle de la BCL reste un enjeu central dans la lutte pour le pouvoir en Libye. Le blocus pétrolier imposé par l’Est a déjà réduit de moitié les volumes d’exportation, ce qui met sous pression une économie déjà fragile. Le rétablissement des opérations par le gouverneur par intérim Ghaffar est perçu comme une tentative de maintenir une certaine stabilité, mais les défis restent multiples, notamment avec les accusations de manipulation et de favoritisme dans la gestion des revenus pétroliers.
Les appels internationaux à une résolution négociée soulignent l’urgence d’une approche coordonnée pour rétablir la stabilité financière. Cependant, les profondes divisions politiques et les intérêts conflictuels compliquent la mise en place d’un plan de gouvernance partagé. La reprise des exportations et la gestion transparente des finances publiques demeurent des priorités pour éviter un effondrement économique.