Les exemptions accordées par l’administration Trump dans son décret tarifaire contre le Brésil cartographient précisément les dépendances critiques de l’industrie américaine. Le pétrole brut brésilien, totalisant 44,8 milliards de dollars d’importations en 2024, maintient son flux vers les raffineries américaines sans perturbation. Cette décision intervient alors que le Brésil est devenu le premier exportateur national en 2024, le pétrole dépassant le soja grâce à la production du pré-sel. Les 230 000 barils quotidiens dirigés principalement vers la côte ouest américaine représentent une source d’approvisionnement difficile à remplacer rapidement.
Chaîne sidérurgique américaine tributaire du fer brésilien
L’exemption totale des produits ferreux révèle une vulnérabilité structurelle majeure. Le Brésil a exporté 389 millions de tonnes de minerai de fer globalement en 2024, dont 2,82 millions vers les États-Unis. Cette quantité, bien que modeste en proportion, alimente des segments spécifiques de l’industrie sidérurgique américaine adaptés aux caractéristiques du minerai brésilien. Les importations de fer et acier brésilien ont atteint 5,72 milliards de dollars en 2024, positionnant le Brésil comme deuxième fournisseur d’acier et premier de minerai de fer.
Les spécifications techniques du minerai de fer brésilien, notamment sa teneur en fer de 62-65% et ses faibles impuretés, correspondent aux exigences des hauts fourneaux américains. La substitution par d’autres sources nécessiterait des ajustements coûteux des processus de production. Les aciéries intégrées de l’Indiana, l’Ohio et la Pennsylvanie dépendent particulièrement de ces approvisionnements pour leurs mélanges de charge optimaux.
Embraer et l’écosystème aéronautique intégré
L’exemption des avions civils protège une chaîne de valeur binationale sophistiquée. Embraer exporte 45% de ses avions commerciaux et 70% de ses jets exécutifs vers les États-Unis. Cette relation dépasse la simple exportation : de nombreux composants américains équipent les appareils Embraer, créant une interdépendance industrielle. Les moteurs General Electric, l’avionique Honeywell et les systèmes hydrauliques Parker Hannifin illustrent cette intégration.
Les commandes américaines représentent un carnet de plusieurs milliards pour les E-Jets E2 d’Embraer, positionnés sur le segment des avions régionaux où Boeing n’offre pas d’alternative directe. Les compagnies aériennes régionales américaines opèrent des flottes substantielles d’Embraer, rendant crucial le maintien des flux de pièces détachées et de nouveaux appareils. L’impact boursier immédiat, avec une hausse de 11% de l’action Embraer, reflète le soulagement du marché.
Pâte de bois et chaînes papetières nord-américaines
Suzano, leader mondial de la pâte de bois, bénéficie d’exemptions préservant ses exportations vers les usines papetières américaines. La pâte d’eucalyptus brésilienne possède des caractéristiques de fibre courte essentielles pour certains grades de papier tissue et d’impression. Les usines américaines ont optimisé leurs processus pour ces intrants spécifiques sur des décennies. La substitution par de la pâte de résineux canadienne ou scandinave modifierait les propriétés finales des produits.
Les données commerciales révèlent que le Brésil fournit environ 30% de la pâte de bois importée par les États-Unis. Les contrats à long terme entre Suzano et les papetiers américains incluent des spécifications techniques précises difficiles à reproduire ailleurs. Le coût logistique avantageux du transport maritime depuis les ports brésiliens vers la côte est américaine renforce cette position.
Implications stratégiques des dépendances révélées
L’architecture des exemptions expose les limites de l’autonomie industrielle américaine dans des secteurs critiques. Les tentatives de découplage commercial se heurtent aux réalités des chaînes d’approvisionnement optimisées sur des décennies. Les exemptions représentent un aveu implicite que certains flux commerciaux transcendent les considérations politiques immédiates. Cette cartographie des dépendances offre au Brésil des leviers de négociation renforcés.
Les analystes industriels notent que les secteurs exemptés correspondent précisément aux domaines où les alternatives d’approvisionnement impliqueraient des coûts de transition prohibitifs ou des délais incompatibles avec les cycles de production. Cette réalité économique contraint la marge de manœuvre politique, illustrant les limites pratiques du protectionnisme dans une économie globalisée. Les entreprises américaines dans ces secteurs maintiennent leurs stratégies d’approvisionnement tout en surveillant l’évolution des tensions diplomatiques.